Parijs - 19e eeuw Alphonse Allais (1854 - 1905) Bibliothèque Alphonse Allais #1

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1893

Pas de bile!

Le perroquet

 

– Vous allez voir que cette petite rosse-là va encore nous faire manquer le train!

Cette imprécation proférée en pleine gare du Havre (1) (départ) fut immédiatement suivie de l’arrivée d’une voiture porteuse de la petite rosse en question.

Pas seule, la jeune personne. Un matelot l’accompagnait, un rude homme de mer qui tenait, en ses mains hâlées, un perroquet recelé dans une cage énorme, une cage en laquelle aurait pu évoluer à son aise un lion adulte.

– Qu’est-ce que c’est que tout ça? fis-je, plutôt discourtois.

Et ma petite amie de me répondre en son désarmant gazouillis:

– Tu vas peut-être me gronder, mon chéri, mais tant pis!... C’était une trop belle occasion!

La belle occasion consistait à avoir acquis pour la somme dérisoire de 15 louis un perroquet qu’on aurait carrément payé 40 francs, quai de la Mégisserie, un perroquet bête et méchant, qui gueulait comme un putois, sans articuler rien qui ressemblât à des vocables classés.

– Tu vois comme il parle bien? aggrava ma compagne.

Pendant cette petite scène de famille, l’intrépide navigateur avait l’air un peu gêné.

– C’est monsieur qui l’a rapporté lui-même du Brésil, gazouillait toujours l’enfant.

Je reconnus tout de suite le marchand de perroquets, lequel n’était autre qu’un matelot du François Ier (Le Havre-Trouville) en disponibilité pour le moment, à cause de la cessation cholériforme du service.

– Vous arrivez du Brésil? ironisai-je.

– Pas tout droit, mais un camarade...

– Et ça vaut 300 francs, cette volaille?

– Oh! mon Dieu, j’ai dit 300 francs comme j’aurais dit autre chose.

– Eh! bien, vous pouvez le renvoyer au Brésil, votre Jacquot; il y a assez de bêtes à la maison comme ça!

Ma jeune amie, se voyant dans son tort, prit le parti de se mettre en fureur.

– C’est pour moi que vous dites ça?

Je n’ai jamais fait de peine à une femme, même avec une fleur. Aussi, répondis-je gentiment:

– Espèce de dinde!

Et je glissai dans la main du nautonier un billet de 50 francs qu’il dut prendre pour une bank-note de cinq louis, car il s’éloigna vite, son béret à la main et visiblement enchanté.

Ce ne fut pas une petite affaire que d’installer l’oiseau jaseur dans le compartiment. On eût eu plus tôt fait, je crois, d’introduire le wagon dans la cage que la cage dans le wagon.

Enfin, grâce à la complaisance d’un vieux monsieur décoré que les grands yeux de ma Jane faisaient salement loucher, on arriva à une sorte de tassement, presque acceptable.

La sortie fut plus dure. Pour un peu, il eût fallu enlever le couvercle du car.

Et ce cochon de perroquet qui n’arrêtait pas de glapir ses cris rauques et inarticulés!

Les gens du train s’amusaient énormément et les employés ne s’embêtaient pas. Moi, j’étais mi-partie blanc comme un linge, de fureur, et rouge comme un coq, de colère!

Quant à Jane, elle avait cru prudent de s’absenter momentanément sous couleur de quérir une voiture.

La rentrée à la maison fut chargée d’orage. Mais je suis si bon! Une paire de gifles, et je n’en veux plus aux gens! Même, on me reproche d’être trop bon.

En somme, ce malheureux perroquet n’était pas plus mal qu’un autre.

Sans ses clameurs insupportables, il eût été un oiseau charmant.

Ses plumes vertes qui tombaient, très fournies jusqu’à la cheville (ou tout au moins jusqu’à ce qui sert de cheville aux perroquets) lui donnaient un air de zouave crâneur tout à fait rigolo.

Il avait sur la tête une aigrette rouge dont il semblait fier jusqu’à l’impertinence.

Et ses petits yeux ronds, dont il clignait si malicieusement, l’idiot!

Et puis, Jane l’aimait tant que j’avais fini par m’y faire.

Quant à son parti pris de ne point parodier, à s’y méprendre, le langage humain, mon adorée mettait cette infériorité sur le compte de l’embarras.

– Parbleu! disait-elle, avec ton air tout le temps de te fiche de lui, ce petit, il n’ose rien dire.

Cette idée de posséder un perroquet timide me réjouissait l’âme à un point que je ne saurais exprimer.

Je résolus d’en avoir le coeur net, et, hier, j’avançai cette proposition:

– Dis donc, si on lui fichait une petite cuite, peut-être que ça lui délierait la langue?

– On peut toujours essayer, répondit gravement Jane.

 

Tout d’abord, le pauvre animal se refusa à ingurgiter le champagne.

Les petites bulles d’acide carbonique lui picotaient les narines (les oiseaux ont-ils des narines?), puis, peu à peu, il prit goût à ce breuvage et en consomma plus que de raison.

Alors, ce fut épique.

Ce perroquet était saoul comme une grive: il titubait, tombait, se ramassait pour choir à nouveau.

Sa belle aigrette rouge avait glissé jusque sur son oreille droite; ses petits yeux clignotaient avec des luisances drôles.

Et puis, voici que tout à coup il se mit à chanter, d’une voix perçante, le refrain bien connu:

J’avais mon pompon

En revenant de Suresnes! 

(1) Voetnoot Allais: Pas la gare Saint-Lazare, comme le lecteur superficiel serait tenté de le croire, mais bien la gare du Havre-de-Grâce

Er bestaan geen groene papegaaien met een kuif. Kuifdragers zijn wit, rose, grijs, zwart of bruin - HPM

En rev’nant d’Suresnes - paroles de Joineau et Delattre, musique d’Emile Spencer, créé à la Scala en 1883.

 

Hier ayant palpé ma quinzaine

Je m’dis: pour m’amuser un peu

J’m'en vais monter jusqu’à Suresnes

Histoire de licher du p’tit bleu.

J’ai bu, j’dois l’dir’, comme une vraie bête,

Tel’ment qu’quand j’voulus m’en aller

Autour de  moi j’vis toutt tourner

Et je m’sentis mal à la tête:

 

J’avais mon pompon

En rev’nant d’Suresnes

Tout le long d’la Seine

J’sentais qu’j'étais rond.

J’avais mon pompon

En rev’nant d’Suresnes

En rev’nant d’Suresnes

J’avais mon pompon