Parijs - 19e eeuw Alphonse Allais (1854 - 1905) Bibliothèque Alphonse Allais #7

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La mort de Coco

 

Dès son entrée dans ce qui allait servir de dorénavantielle demeure, tout de suite, Coco se sentit le coeur envahi d’une immense nostalgie, ses petits yeux ronds se voilèrent comme d’une taie de mort, et de longs frissons secouèrent la polychromie magnifique de son ardent plumage.

Jamais le Brésil, son natal Brésil, ne lui avait paru loin comme à cette minute-là! On lui aurait demandé d’évaluer la distance qui séparait cette petite ville du Nord de Rio de Janeiro, qu’il n’aurait, certes, point su fixer un chiffre même approximatif, mais n’empêche que c’était bigrement loin!

Pendant la traversée, le temps n’avait point, à Coco, semblé trop long: très gâté par le matelot son maître, gorgé d’un tas de bonnes graines et de fruits succulents embarqués au pays, Coco manifestait sa vive reconnaissance de toutes ces gentillesses par sa vive assiduité à l’étude de la blasphémologie française et maritime.

Les mauvais jours commencent dès le débarquement à Dunkerque, grand port marchand, dont Coco intarissablement huché sur l’épaule de son bambocheur de patron, n’est pas, hélas! long à connaître les plus mal famés endroits.

Coco est sobre, Coco est chaste, et, précisément, les maisons d’où il ne sort, pour ainsi dire, pas, ne sont qu’estaminets et débauchoirs plus néfastes encore.

Puis, c’est la séparation.

Entièrement ruiné par tant de successives orgies, l’homme de mer en est réduit à bazarder son volatile compagnon.

À la vue du nouveau patron, la première impression de Coco n’est pas trop défavorable: un gros homme commun, d’aspect athlétique et de verbe jovial; autant celui-là qu’un autre, quoique l’ère des forêts vierges semble, aux yeux du pauvre déraciné, irrévocablement close.

Mais devant la petite cage au sein de laquelle on tente de l’enfermer, Coco ne veut rien savoir, Coco piaille, Coco dévide à tue-tête tout son répertoire sacrilège, Coco hérisse ses ailes: en un mot, Coco n’est pas content.

Son nouveau maître le calme du mieux qu’il peut, et c’est sur l’assurance formelle que la cage maudite enclora Coco durant les quelques seules heures de chemin de fer, après quoi le joyeux perchoir! que Coco consent à intégrer sa prison de fil de fer...

« Où diable vais-je? s’inquiète en lui-même Coco. Vers quels nouveaux parages me conduit mon aveugle destinée? »

Pas de veine, mon pauvre Coco!

Pas de veine! Toi, qui as si fort pris en grippe les estaminets dunkerquois, c’est dans un estaminet, un affreux estaminet de sombre petite ville usinière que maintenant se déroulera ta vie d’exilé!

Ah! oui, il est loin, ton vieux Brésil! Tu peux le dire!