Een
diner met hindernissen
Peu
après, on était à table. Suce-Canelle eut la bonne fortune d’avoir
Cécile à sa droite; mais le malheur de posséder Aménaïde à sa
gauche.
Armand
fut froid avec les autres convives. Le fils de Pétronille
grouillait partout, chantait, bégayait, faisait une vie de
possédé. Un superbe ara, trônant sur son perchoir, semblait
attirer l'enfant, et le gamin ne cessait de l'agacer.
Un
peu avant le rôti, il y eut un fort long entr'acte. Comme Cécile
s'impatientait, la cuisinière, rouge comme une pivoine, les cheveux
droits sur la tête, entra en s' écriant:
—
Madame, ce n'est pas ma faute ! C'est madame votre tante qui
est venue dans ma cuisine, elle a changé toutes mes casseroles de
place, elle a éteint mon feu, et à l'heure qu'il est, je ne sais
plus où j'en suis.
—
Allons donc! fit Suce-Canelle, je m'en doutais.
Et,
pinçant Mme Dufournet :
—
Gamine, va!
—
Cette fille ne sait ce qu'elle dit, s'exclama Aménaïde, je
suis allée dans la cuisine comme je vais dans la mienne, et bien
m'en a pris, Mademoiselle eût mis dans les petits pois deux livres
de beurre... du beurre à quarante-huit sous!...
La
cuisinière exaspérée dénoua sou tablier et, le jetant en l'air :
—
Madame, dit-elle à Cécile, j'aime mieux m'en aller, si je dois
avoir affaire à de vieux sabots comme ça!
—
Qu'est-ce qu'elle a dit, s'exclama Aménaïde suffoquée.
—
Je crois, répliqua gracieusement Sosthène, qu'elle a parlé de
vieux sabots !
—
Armand, reprit la vieille, Armand, chassez cette fille, vous
m'entendez, chassez-la!
—
Ah! non, hein! s'écria Suce-Canelle. Il faut dîner, chère madame
Dufournet! chez vous, tous les jeudis, on renverse les crèmes, on
brûle les compotes... on ne dit rien, mais ou n'en tombe pas moins
d'inanition. Ici, on a toujours bien dîné... Respectons la
tradition, s'il vous plaît.
Se
levant, il alla à la cuisinière, lui prit le menton, ramassa le
tablier, le lui rendit, et avec grâce :
—
Ma belle enfant, ajouta-t-il, retourne à tes fourneaux... Et quand
tu t'en iras, je te prendrai à mon service... gratis!...
Il
plut à la cuisinière comme il plaisait à tout le monde : elle lui
dit tout bas :
—
C'est bien pour vous que je le fais !
Et
sortit. Aménaïde voulait s'évanouir, Sosthène lui versa un grand
verre de vin en disant :
—
Buvez ça, et fichez-vous du reste! Le dîner fut exquis. Jamais
cordon bleu
ne
se distingua de la sorte.
Les
convives s'égayaient, d'autant plus que Cécile, au contraire de sa
tante, ne marchandait pas le chambertin.
Tout
d'un coup, il y eut des cris horribles.
Le
fils de Pétronille, qui continuait à s'amuser avec le perroquet,
avait lassè la patience de ce dernier.
Furibond,
le perroquet avait empoigné le nez du marmot qui, reculant, avait
fait rouler à terre le perchoir. L'eau, les graines,tout
tomba. Bien plus, affolé par le bruit et par les exclamations des
convives, l'ara avait rompu sa chaîne et, comme un perdu,
voltigeait par la chambre, la crête droite, les plumes hérissées.

Ses
cris étouffèrent ceux des autres.
En
voltigeant, le perroquet accrocha au passage quelques plats pendus
au mur, qui vinrent se briser sur le sol.
Armand
se leva épouvanté.
—
Deux vieux rouen, gémit-il. Il m’a cassé deux vieux
rouen !
Sosthène,
grimpé sur une chaise, avait rattrapé l'oiseau.
—
Quelle idée aussi, disait-il, d'avoir de ces bétes-là chez soi :
c'est idiot, ça ne comprend rien, ça gueule tout le temps.
Il
alla l'enchaîner, et comme l'ara continuait à crier :
—
Si tu ne te tais pas, je te flanque du persil! ajouta le peintre.
Armand,
Cécile et Mme Dufournet, s'étaient baissés pour retrouver les
morceaux disséminés des vieux rouen.Les autres convives, par
politesse, avaient également quitté leurs places et cherchaient,
de sorte qu'en ce moment toute la société était à quatre pattes
et ramassait les épaves de la précieuse vaisselle.
Sosthène
se croisa les bras et les contempla en riant.
—
Cherche donc aussi ! lui cria Armand.
—
Comment donc, je ne vais faire que ça?...
—
Cherche donc, grand fou !
—
Tu nous embêtes à la fin avec tes plats, reprit le bohème. C'est
comme ton perroquet, c'est hideux, ça ne sert à rien. On fait
aujourd'hui des choses dix fois plus jolies, et qui coûtent la
moitié moins!...
Ou
ne trouva qu'une partie des morceaux, Armand les rangea devant lui,
on se remit à table, mais Armand ne mangea plus.
Sosthène
se dit eu lui-même que les dîners de son ami étaient tout aussi
désagréables que ceux des Dufournet, et, comme Armand poussait des
soupirs à la vue de ses plats massacrés :
—
Comme on devient bête tout de même ! murmura Suce-Canelle.
Tant
bien que mal le dîner s'acheva.
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