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Le Mercure des théâtres.
1844/08/11 |
Les
abonnés du Journal n'apprendront point sans un étonnement agréable,
que l'administration de notre feuille vient de traiter avec un homme
de talent fort renommé dans la quasi république des lettres pour
obtenir de lui un intéressant feuilleton. Malgré les prétentions
exagérées de cet écrivain distingué, nous n'avons pas hésité à lui
acheter, au prix de six cent mille francs, les quelques lignes que
sa plume exercée veut bien nous vendre tous les trois jours. Et
quoique ce fait soit dur pour nous, nous n'avons point hésité à nous
assurer, d'ici au 31 décembre, la collaboration de M. Isidore
Grenouillaud, dans la seule vue de réjouir celle de nos lecteurs. |
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Le Mercure des théâtres.
1844/08/11 |

PREMIÈRE PARTIE.
CHAPITRE 1er.
Par un
soir du mois de janvier 1791, dans une maison de la rue de la
Huchette, portant aujourd'hui le no.14, on apercevait une petite
fenêtre du quatrième étage, plus éclairée que de coutume.
Cette
fenêtre n'avait plus de vitres : deux larges feuilles de papier
huilées les remplaçaient.
Quiconque eut observé la cause de cet éclairage inaccoutumé, eut
facilement deviné qu'il y avait dans la cheminée de ladite
chambrette un grand feu de copeaux.
Il
gelait à douze degrés ci-devant Réaumur.
Deux
ombres allaient et venaient : leur silhouette se dessinait à
intervalles inégaux sur la diaphane clôture de la fenêtre.
C'étaient, d'une part, le nez aquilin d'un être du sexe masculin,
puis le minois arrondi, comme celui d'une chatte, d'un second être
appartenant visiblement à une personne du sexe non-masculin.
Depuis
un quart-d'heure environ, accoudé sur la balustrade de ma croisée,
je contemplais ce jeu d'ombres chinoises, auquel je ne comprenais
rien.
C'était
un va-et-vient des plus étranges : Séraphin n'est que de la pure
gnognotte à côté ; pardonnez-moi cette expression en faveur de sa
vérité.
Tout à
coup la première ombre chinoise, celle du nez aquilin, fît aller son
bras en moulinet.
Et
j'entendis un grand cri....
ISIDORE
GRENOUILLAUD.
(La
suite au prochain numéro.)
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Le Mercure des théâtres.
1844/08/15. |
Un grand
cri donc se fit entendre.
Je suis
extrêmement nerveux ; vous dire l'effet que je ressentis, serait
chose difficile à dépeindre : tout ce que je sais, c'est que, par un
mouvement convulsif, je perdis l'équilibre, et tombai à la renverse.
Tout
être qui tombe, aime à s'accrocher.
J'eus ce
faible : c'était mon droit.
Dans ma
chute, je saisis violemment l'espèce de mât de cocagne où grimaçait
le perroquet de ma femme, et l'entraînai avec moi, l'un culbutant
l'autre.
Pour
lors, ledit perroquet se voyant courir à sa ruine, se prît à
piailler de belle sorte.
Le
malheureux n'avait pas trop tort.
Car en
tombant je roulai sur lui, et l'écrasai net, — Il était plat comme
un article de n'importe quel journal.
Je me
relevai avec prestesse, et tout en m'essuyant le coude, je
considérai l'irmocente victime de mes nerfs. !
Elle
était étendue sans connaissance sur le carreau, les griffes raides,
les pattes allongées. — Avez-vous jamais écrasé un perroquet ? C'est
quelque chose d'affreux, de touchant et de maladif, qui vous va
droit au cour, et le fend. Ce spectacle m'émût ; son oeil, jadis
bien piquant, n'était plus qu'entrouvert, et laissait voir un blanc
morbide ; son bec, son tendre bec, le dépositaire des baisers de mon
épouse, et que sa main avait nourri, était crispé comme la ligure de
M. Albert quand il gronde une déclaration d'amour.
Bref, le
cadavre de cet infortuné était peu récréatif à la vue.
De plus,
son aspect, considéré aussi sous le rapport philosophique, me fit
songer à la citoyenne mon épouse, la femme Michoneau, la grande et
belle Michoneau, majeure depuis dix ans, taille de cinq pieds six
pouces, carure à l'avenant, poignée forte, verbe haut, bras de fer,
étreinte de géant, caractère républicain, et ne sachant pas le moins
du monde, comme le Pluton d'Euridyce, s'attendrir aux prières d'un
simple mortel. Surtout quand son Orphée venait de lui écraser son
perroquet, l'être qu'elle chérissait le plus sur terre, après M. de
Robespierre.
Je
prévis donc, sans grand effet d'imagination, que si la Michoneau
rentrait en ce moment, il allait me tomber sur le dos une grêle de
ces petites choses que Molière regarde comme une preuve d'affection,
sous prétexte qu'entre époux qui s'estiment, une petite roulée,
par-ci par-là, ne saurait détruire, que dis-je détruire, altérer
l'amitié. J'en suis fâché pour lui, mais Molière est un sans-culotte,
et rien de moins !
Donc, je
finissais à peine de me relever et de faire toutes ces réflexions à
mon endroit, que la clé tourna dans la serrure.
Sur-le-champ, je me sentis la chair de plusieurs poules par tous le
corps.
ISIDORE
GRENOUILLAUD.
(La
suite au prochain numéro.)
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Le Mercure des
théâtres. 1844/08/18. |
La porte s'ouvrit. — Ce n’était point
ma femme, — Je respirai avec aisance.
C’était un officier de la municipalité de Paris, suivi de quatre
hommes armés de piques.
Une
ceinture tricolore flottait sur son habit : — il avait une cocarde à
son chapeau : ceux qui l’accompagnaient avaient un ruban de la même
couleur attaché à leurs carmagnoles.
Leur
coup-d'œil viperin me fit néanmoins frayeur.
Ils
toisèrent ma chambre de bas eu haut.
Tout
ceci se fît en silence.
Enfin,
ils le rompirent — : << Citoyen Michoneau, dit l'officier-municipal,
ton civisme n'est point pur : tu es suspect d'être suspect.
—
Fichtre, répondis-je.
— Il n'y
a pas de fichtre à cela, Michoneau, tu es suspect d'avoir des
relations avec les émigrés, et l'on vient de trouver...
_--
Pardon , citoyen municipal, donnez-vous la peine t'asseoir,... de
vous....
Dans mon
trouble, je brouillais mes idées et la grammaire : la tête
déménageait déjà.
— ...
Oui, l'on vient de trouver à la section de la Croix-Rouge, une
lettre de ta main à la ci-devant duchesse de Berry, à Londres ; tu
es leur agent-secret.
— Et la
preuve ? dis-je , tout pâle d’effroi, et me voyant déjà traduit
devant le Comité des Recherches, et en ligne directe avec la
guillotine.
— La
preuve, la voici.
Et ce
disant, il tira une lettre de son habit, et me la passa.
Pendant
ce temps, l'un procédait à la visite domiciliaire de mes meubles et
de mes effets. Un de ses alguazils me tenait au collet et
m'étranglait par conviction.
Je pris
la lettre en tremblant, et la parcourant des yeux, j'aperçus ces
lignes écrites d'une main mal assurée, mais fort lisibles toutefois.
« Madame
la duchesse, « Hier soir, avec Jean Delaunay et Louis Vidal, nous
avons vidé la mare qui avoisine votre pigeonnier ; nous y avons
caché, dans une boite de plomb, à trois pieds du bord, en venant par
la grand'route d'Evreux, vos papiers, vos lettres et vos parchemins,
plus dix mille louis dont nous avons donné quittance à M. Perrot,
votre intendant. — Le lendemain matin, nous avons rempli d'eau la
mare comme de coutume, et nous espérons que tous ces gredins de
républicains, qui ne veulent l'égalité que parce qu'ils n'ont rien,
se trouveront joliment attrapés quand ils iront.... (Ici deux lignes
entièrement effacées.)>>
Signé...
Ici
Michoneau manqua de voix, et poussant un grand cri, laissa tomber la
lettre. On fut obligé de le mettre sur une chaise.
— Ah !
ah ! dit le municipal, vous voyez, il n'ose pas articuler le nom qui
fait signature ; allons, vite qu'on l'empoigne; et en avant, à la
section.
A ces
mots.....
ISIDORE
GRENOUILLAUD.
(La
suite au prochain numéro.)
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Le
Mercure des théâtres. 1844/08/22. |
A ces
mots, Michoneau retrouve la parole. — Vous voyez bien, dit-il enfin
avec une sorte d'énergie, ainsi qu'il arrive quand on a peur, vous
voyez bien que cette signature n'est pas mon nom ; il y a Michonnel,
et non pas Michoneau.
—
L'officier municipal regarde par trois fois la lettre, en se
frottant les yeux : il ne savait pas lire.
— C'est
juste, dit-il, le citoyen Michoneau a raison. Puis' il se mit à
épeler, afin de sauver son amour-propre : n, e, l, nel ; très
bien , très bien, citoyen, fais excuse, j'en vais faire le rapport à
ma section. Tu me pardonnes mon erreur?
— Moi,
te pardonner, municipal, non, non, pas de ça, Lisette.
—
Comment, non !
— Non,
te dis-je , tu m'as violenté , suspecté, bourré et victime
injustement, tu me dois des dommages et intérêts.
— Ah ça,
citoyen Michoneau...
— Il n'y
a pas de Michoneau ni de Michonnel, tu as outrepassé les fonctions,
tu as été plus sévère que la loi, donc, tu es un tyran ; Robespierre
a défini, ainsi, la tyrannie. Tant pis pour toi, citoyen municipal.
— Ah ça
Michoneau, tu veux donc me perdre.
— J'en
suis fâché, mais ça t'apprendra à mieux lire.... et vous autres, au
nom de la loi, je vous adjure sur le champ... Les trois fusiliers
passèrent au-sitôt du côté de Michoneau, à qui la conscience de son
droit avait donné un air d'autorité incontestable, et une véritable
suprématie.
L'officier lui dit alors : mon petit Michoneau, je t’en prie, excuse
moi, car je t'avouerai que je ne sais pas lire... et que tu vas me
faire réprimander.
—
Comment, gredin, tu ne sais pas lire et tu arrêtes les gens sur leur
signature !... attends, attends; tu ne trompes la Nation que comme
ça ; et bien c'est gentil...
Puis se
ravisant : il lui dit, en lui montrant le cadavre de son pauvre
perroquet: << Tiens, voilà un ami dont tu as causé la mort en
m'effrayant par la brusquerie de ton entrée ; il était destiné au
citoyen Camille Desmoulins, parce qu'il savait dire par cœur, la
première phrase de la constitution ; en le tuant, tu as fait un acte
d'incivisme dont tu dois porter la peine, peut-être même, y a tu mis
de la malignité ; ainsi donc exécute toi, tu vas me donner sur
l'heure, toujours au nom de la loi, et en présence de ces braves
sans-culottes qui en sont le soutien, quatre-vingt dix-neuf livres
dix sols, prix d'achat et de revient de cet animal patriotique, ou
sinon.....
ISIDORE
GRENOUILLAUD.
(La
suite au prochain numéro.)
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Le Mercure des théâtres. 1844/09/01.
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Depuis
huit jours, le feuilleton des Mystères se trouve interrompu
de la manière la plus inespérée et la plus contraire à nos intérêts.
M. Isidore Grenouillaud, dont nous avons largement payé à l'avance
l'onéreuse collaboration, est parti, lundi dernier, sans nous
avertir, pour se rendre à Mogador : sous prétexte d'aller s'assurer
par lui-même des glorieux décombres de cette ville, et d'y retremper
sa fierté nationale. Ce monsieur nous a plantés là, avec tout le
sans-gêne d'un vrai bédouin qu'il est. Tout ce que nous avons obtenu
de sa portière est le fragment suivant. Une telle conduite ne sera
pas néanmoins impunie, et si le sieur Grenouillaud ne nous remet pas
la suite de son feuilleton avec régularité, nous le poursuivrons
selon la rigueur des lois.
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Le Mercure des théâtres.
1844/09/01. |
Suite
— Ou
sinon je te dénonce à la Section.
—
Comment, tu veux 99 livres 10 sols pour un animal de cette espèce
qui n'en vaut le quart; mais tu es fou !
— Ce
perroquet, dit Michonneau, était à la citoyenne ma femme et, si elle
rentrait, elle t'assommerait de sa colère; tu sais qu'elle tape dure
et longtemps, mon épouse, et que dans sa fureur elle ne connaît ni
rang, ni sexe, ni âge.
— le la
connais, dît le municipal ; mais je n’ai qu'un assignat
de deux cents livres, et tu...
— Et tu
peux le garder, pour faire des papillotes à ta maîtresse ; mais moi,
il me faut de l'espèce monnayée.
— Eh
bien! attends; j'ai ici, devant tes fenêtres, à cette lucarne, un de
mes amis qui y demeure, et je vais lui demander cette somme ; c'est
un ex-fournisseur des princes et du ci-devant comte d'Artois, qui a
toujours du numéraire chez lui.
— Bien,
à ton aise.
L'officier municipal, renvoyant alors ses trois acolytes, se mit en
devoir d'ouvrir sa fenêtre, pour regarder s'il se trouvait bien en
face de son ami Lepaulard, l'ex-fournisseur.
— Tiens,
Michoneau, si tu avais autant de cheveux sur la nuque que ce
gaillard-là a de petits louis qui dorment dans sa caisse, on ne sait
où, tu ne serais pas chauve comme tu es.
— Et
comment un pareil honnête ne l’as tu pas déjà arrêté ?
— Ah !
ah.'... dit en ricanant infernalement le vieux municipal, c'est que...,
c'est que.....
Au même
instant, la lumière qui éclairait la chambre s'éteignit tout à coup.
ISIDORE
GRENOUILLAUD.
(La
suite au prochain numéro.)
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Le Mercure des théâtres.
1844/10/03 |
AVIS TRÈS-IMPORTANT.
Enfin, après deux assignations, auxquels il s'est
rendus le sieur Grenouillaud, dont nous avons à l'avance payé la
collaboration à un prix exagéré, nous revient avec son feuilleton.
Ce littérateur prend désormais, avec nous, le solennel engagement de
ne plus s'absenter, dût-on prendre une seconde fois, sans lui,
Mogador et ses environs. — Nous nous empressons d'en donner avis à
nos abonnés les plus patiens.
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Le Mercure des théâtres.
1844/10/03 |
C'était
la femme Michoneau qui entrait ainsi et si brusquement qu'elle
éteignit la chandelle, plaçée près de la porte.
— Ah ça,
grand fainéant! dit-elle, pourquoi es-tu là encore?
Elle
parlait à son mari.
—
Pourquoi ? lui dit Michoneau, en cherchant l'amadou et la pierre à
feu pour rallumer la lumière; ah pourquoi?
— Oui,
pourquoi ? quand tu devrais êtrc au Club des Feuillans, où il y a du
bruit ce soir à cause du garde-meuble qui a été saccagé par des
contre-révolutionnaires. Quoi ! une chose horrible : ils ont fait
voir le tour aux bijoux, aux perles fines et aux diamans de la
couronne : celle de M. Pharamond et de MM. Capet, les pères de
celui-ci ; et zut, il n'y en a pas plus là-bas que chez l'autre : tu
comprends.
— Eh!
bien, femme, qu'y faire à cette couronne?
— Qu'y
faire? grand propre à rien, mais te remuer en conséquence : il y a
cent mille francs en assignats pour celui qui mettra sur la voie des
brigands ; et aux abords de la Convention, on crie à cette
heure leur signalement; toi qui a des jambes, tu devrais alors te
mettre à la piste ; on fournit les renseignemens; mais c'est
pressé.
— Femme,
voilà qui l'est davantage: le citoyen municipal, ici présent,
t'offre ses civilités et 99 livres 10 sous pour ton perroquet.
—
Comment, mon perroquet ! est-ce que mon coco aurait été déclaré
suspect et élargi.
—
Oui, tu sauras tout ça plus lard.
Le
municipal, qui était pris au piège et qui se sentait faible, passa
par tout ce qu'on exigeait de lui : Michoneau se fit compter en
beaux écus 50 livres, puis accepta un billet payable chez ledit
citoyen. L'officier, muet de colère, mais prudent, sortit sans même
souhaiter le bonsoir aux deux époux.
La
Michoneau était interdite ; eHe se mil à regarder son perroquet.
>>Les misérables, s'écria-t-elle enfin, il n'y a plus rien de sacré
pour eux. Ils tuent les prêtres, les nobles et les perroquets; mais
bientôt ils tueront les femmes, ils les tueront, ces s pauvres
femmes du bon Dieu, les scélérats qu'ils sont... »
Michineau fît ici un hêlas si pexpressif que sa moitié lui
dit :
— A ça !
dis donc, toi, avec tes soupirs, est-ce que tu ne les aimerais plus,
les femmes, ces anges de la création?...
Et ce
disant, elle donna un grand coup sur la table....
ISIDORE
GRENOUILLAUD.
(La
suite au prochain numéro.)
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Le Mercure des théâtres.
1844/10/10. |
La
Michoneau donna un si violent coup de poing sur la table, qu'elle
fit sauter en l'air le petit buste de Marat qui tomba à terre en
mille éclats.
— Peste
des anges de la création, dit Michoneau en allumant la chandelle
qu'il posa sur la cheminée : Ah ça, ma femme, est-ce qu'à la fin tu
ne modéreras point un peu ton humeur et tes manières. Voilà le
troisième Marat que tu me coûtes en quinze jours! A toi seule tu
ferais marcher le commerce de ceux qui débitent ce citoyen
respectable à dix sous l'exemplaire.
La
Michoneau s'assît près de son perroquet.
— Tu ne
réponds rien..., tu as raison; parce qu'à la fin, il faut que cela
finisse, il faut que ça finisse, il faut que je n'entende plus tes
criailleries et tes sermons qui me fatiguent et m'excèdent ; il faut
que je sois...
— Eh
bien! il faut que tu sois..., quoi? lui répartit la Michoneau qui le
laissait s'échauffer par degrés, ainsi qu'il arrive à celui des deux
époux qui, dans une querelle, élève toujours la voix quand l'autre
la baisse. Elle connaissait son homme : c'était un de ces moutons de
maris qui se laissent tondre par l'arbitraire de leurs moitiés,
jusqu'à ce qu'un jour, écorchés jusqu'au vif, ils se regimbent tout
à coup, et, reprenant le dessus, redeviennent despotes d'esclaves
qu'ils semblaient être.
— Oui,
il faut que je sois, et tu l'en fâcheras si tu veux, il faut que je
sois.... Oui, oui, je m'en lave les mains, il faut...
—
Accouche donc, lambin ! dit sa femme. Et en même temps elle s'était
redressée avec une sorte de fierté mêlée d'attente et de surprise,
le toisant des pieds à la tête.
— Oui,
mille Robespierre, il faut que je sois, et que je la sois tout à
fait, seul et sans autres, tu entends…
-- Mais
achèveras-tu ?
-- Il
faut que je sois le maître…
Jamais
un pareil mot n’avait été prononcédans le ménage de Michoneau. La
femme en fut altérée :
-- Ah !
misérable, ah ! grand coquin ! Ah ! mon Dieu, que je suis
malheureuse ! tu veux me victimer et me violenter… Mais, mon petit
Michoneau, où as-tu pris une idée pareille, tyranniser ta chérie?
Oh !
non, non jamais… Tu me feras mourir de chagrin ! De grâce, mon petit
Michoneau, de grâce, rétracte un pareil mot, car il me tue…
Et ce
disant, elle lui fait des caresses inaccoutumées; Michoneau, presque
confus de son courage, se laissa aller jusqu’à l’embrasser sur le
menton. Mais la Michoneau, passant tout à coup à une idée contraire,
se leva brusquement et s’écrie, en se débarrassant de ses douces et
tendres étreintes :
-- Non,
non, grand jacobin, cette idée là n’est pas de toi ! un pareil mot
ne t’appartient point ; tun ne peux, tu ne veux, tu ne prétends pas
être le maître. Il faut qu’en te l’ait conseillé. On t’endoctrine,
on t’a fait la leçon ; bientôt on te dira de me haïr, et tu me
haïras ; de me battre, et tu me battras ; de me mettre à la porte,
et tu m’y mettras… Oui, tu t’es vendu à quelque
contre-révolutionnaire ; ce n’est possible autrement ; mais je m’en
vais, je m’en vais, et il ne sera pas dit que j’aurai passé la nuit
avec quelqu’un qui se sera prétendu mon maître. Aussi nous verrons…
Furieuse
et hors d'elle-même, elle sortit brusquement, laissant son époux,
dans la plus grande stupéfaction.
ISIDORE
GRENOUILLAUD.
(La
suite au prochain numéro.)
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Le Mercure des théâtres.
1844/10/31. |
— Enfin,
dit Michoneau, me voilà donc tranquille et heureux : ma femme est
partie ! Et ce disant, il s'assit près de la fenêtre, et se mit à
entasser les papiers publics dont il était crieur et qui devaient
lui servir pour le lendemain matin. — C'était en première ligne la
feuille du jacobin Hébert, commençant toujours par ces mots
solemnels : «Voilà la grande colère du Père-Duchesne !...»
— Bon !
dit-il, la recette sera bonne, un article contre les accapareurs de
blé ; tout le monde en prendra.— Et ceci ? ajouta-t-il en fouillant
sa liasse. Un numéro du Patriote français c'est un peu déjeté
; je ne ferai rien avec ça; reportons-le chez Momoro. — Momoro
imprimait alors la plupart des journaux républicains.
Au
moment de le jeter de côté, il lut au verso ce titre : «Classification
des êtres selon le bon sens»
Diable !
s'écria-t-il ; mais voyons un peu cela, c'est grave.
Nous
rapportons textuellement cette pièce historique qui caractérise bien
l'époque affreuse dont il s'agit.
Dieu,
Les
anges,
Les
philanthropes,
. .
. . . . . . .
Les
citadins oisifs,
Les
héros,
Les
rois.
— Et les
femmes, ajouta bien vite Michoneau ; oui, les maîtresses-femmes. —
En criant ce mot au bas de l'article, j'en débiterai plus décent
exemplaires. C'est convenu. D'ailleurs quel est l'homme ayant le
sens commun qui n'ait pas maudit une petite fois dans sa vie, les
poésies douteuses du ménage, et les caprices d'une femme qui dit :
Je veux, je désire, j'entends et je prétends. Allons, la recette est
assurée.
Comme il
faisait ces réflexions judicieuses il entendit la dispute
recommencer à la fenêtre qui était en face : les voix grossissaient
d'une façon démesurée.
— A
propos, s'exclama-t-il ; eh bien! voilà que j'oublie le but de mes
observations. Avant que mon municipal et ma damnée femme ne
rentrassent, j'étais là, tranquille, à voir ce qui se passait là bas
: les choses ont dû marcher. Voyons donc un peu ce que se disent ces
gens là ; car tout à l'heure on s'y disputait un peu crânement.
Il
r'ouvrit la fenêtre, et allongea le cou dans la toiture, comme un
homme avide du moindre bruit. La discussion, en effet, était dans
tout son feu.
— Bon,
bon, dit-il, ça chauffe ; et il se mit à fredonner tout bas ce
refrain : Ah ça ira, ça ira.
ISIDORE
GRENOUILLAUD.
(La
suite au prochain numéro.) |
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Ici se termine le feuilleton, qui reste
inachevé. Isidore Grenouillaud s'est-il rendu une dernière fois à
Mogador? Ça reste un vrai mystère du Mercure. |
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