Parijs - 19e eeuw Jean Baptiste Louis Gresset - Offenbach Theater Bertall

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1875

Bertall

Dialoog over de première van Offenbachs opéra Comique Vert-Vert

 

UNE PREMIÈRE REPRÉSENTATION.

VERT-VERT, OPÉRA-COMIQUE.

C'est le n° 17. Mesdames Irma et Juliette occupent triomphalement le devant de la loge ; toilette de ville demi-soirée à grand orchestre.

MM. Oscar de Gardefeu; Maxime de Herr et Tony Boulot, de la coulisse, sont placés en espalier derrière ces dames : gilets en cœur à trois boutons, décolletés jusqu'à la ceinture, lilas blanc à la boutonnière,

Irma. Je ne cacherai pas à M. Toto que cette loge est un bouge, une soupente. D'abord, moi je ne comprends que les avant-scènes ; c'est là seule­ment qu'on doit conduire des femmes comme il faut.

Oscar. J'ai proposé de couvrir dor l'homme de l'agence : pas d'avant-scène, toutes en main. Ils m'ont fait payer ça cent cinquante francs.

Juliette. Pauvre petit chat ! c'est moi qui vais le plaindre !

Irma. Allons bon ! voilà qui me console un peu ! Marguerite aux secondes avec son baron !

Tony Boulot. Son baron ! fini, usé, il montre la corde, il va falloir qu'elle s'en fasse mettre un autre.


Maxime. Attention! mesdames, voici l'ouverture, on la dit charmante.

Irma. L'ouverture, merci! c'est comme les préfaces. Qui est-ce qui lit des préfaces? On l'entend, on ne l'écoute pas. Passe-moi le Figaro.

Juliette. Vert-Vert, un drôle de nom. Qu'est-ce que ce peut bien être?

Irma. J'ai toujours entendu dire que Vert-Vert c'était un journal.

Oscar. Quant à la couleur, elle est suffisamment indiquée.

Juliette. Faire une pièce là-dessus, ça ne doit pas être commode.

Maxime. Les auteurs sont des malins qui connaissent leur métier.

Juliette. Ça les regarde. Quant à moi, je ne retourne plus à la Maison-d'Or; ça devient par trop gargotte. Des écrevisses bordelaises rédigées comme çà, c'est écœurant.

Maxime. On croirait lire l’Etendard.

Irma. Il n'en faut plus. [On continue de jouer l’ouverture, les voisins demandent silence.)

Maxime. C'est bon, on y va. Très-joli ce passage, un peu froid cependant.

Oscar. Ça me rappelle le passage de la Bérésina.

Tony Boulot. Taisez-vous donc, bavards.

Juliette. — Toto, passe-moi la lorgnette. Voici la duchesse qui fait son entrée; elle a des cheveux neufs. Ah ! voilà chose qui emplit sa stalle. Une chaîne de plus.

Oscar. Puisqu'il entre au Petit Moniteur, un couloir pour l'Académie française.

Juliette. C'est égal, les écrevisses n'étaient pas drôles. Quant au vougeot, de l'argenteuil première.

Tony Boulot. Avec quelques coupures intelligentes...

Ici applaudissements de toute la salle.

L'ouverture terminée, Juliette, Irma, tous ces messieurs applaudissent.

Irma. Il paraît que c'est charmant. C'est égal, j'aurais mieux aimé une avant-scène.

Juliette. Justement voilà Sa Maigreur la grande Olympe qui arrive dans l'avant-scène de gauche avec son Russe d'avant-hier et le vieux Turc des Champs-Elysées. Quelle poussière!

Irma. Ils se regardent comme deux chiens de faïence.  Juliette. Un os survient, voilà la guerre allumée.

Tony Boulot. La question d'Orient reparaît palpitante à l'horizon.


PREMIER ACTE.

Tony Boulot. Attention ! Mesdames., la toile est levée, voilà Capoul. Ah ! r'lan ! rataplan ! je bats aux champs.

Irma. Pauvre petit Capoul ! Eh bien ! , vrai, je regrette ses moustaches.

Oscar. Le fait est qu'il est devenu affreux, la bouche a triplé.

Maxime. Oui, la bouche est grande et vaste; elle semble doublée de satin noir.

Juliette. Pure jalousie. Moi, je le trouve aussi laid qu'Oscar.

Oscar. Merci.

Tony Boulot. -- Capoul est en baisse. Je vends vingt-cinq Capoul à découvert fin du mois.

Oscar. C'est égal, j'ai eu tort de ne pas vendre plus d'Italiens; trois francs de baisse en quatre jours , c'est joli.

Tony Boulot. Je vous l'avais bien dit.

Maxime. Voilà un chœur de femmes qui est réussi; c'est délicieux. Ces petites pensionnaires ne sont pas de votre avis : voyez comme elles lui passent la main dans les cheveux !

Juliette. Moi, j'ai un faible pour Sainte-Foy. Il a surtout deux dents et demie sur le devant qui font ma joie. Dis donc, petit, tu devrais l'inviter pour souper ce soir. Seulement je demande un autre cabaret. Rien de la Maison-d'Or. A bas les écrevisses !

Irma. Ecoulez ce petit air de Capoul, c'est gentil; mais quand donc va entrer Dupuis? Moi, d'abord, quand on joue de l'Offenbach, si je ne vois pas avancer Dupuis ou Léonce, ça me gène.

Tony Boulot. Dupuis qui s'avance,

Puis qui s'avance.

Maxime. Voilà le départ, ça sent la fin de l'acte. (Chantant.)

Allons,  allons, allons, Parlons, partons, partons.

Tony Boulot. — (// chante.) Pars pour la Crète !

Pars pour la Crète !

On connaît ses auteurs.

Les voisins. Silence! (La toile baisse. Vifs applaudissements.)


PREMIER ENTR'ACTE

Au foyer

 

Le Baron. Qu'est-ce que vous en dites? Ça ne me paraît pas mal. Je viens de voir Azevedo, il est furieux, c'est bon signe.

Oscar. Le premier acte va bien. Qu'est-ce que vous pensez de l'Italie et des tabacs?

Le Baron. L'Italie est chargée jusqu'à la culasse. Moi je couperais quel­que chose dans le premier acte ; les moustaches de Capoul ne suffisent pas.

Oscar. Avez-vous vu la grande Émilia dans la loge du duc! c'est à pouffer de rire. La paire de chevaux gris de quatorze mille francs est dans son écurie depuis hier au soir.

Le Baron. Avec qui êtes-vous donc?

Oscar. Deux aimables grues de la connaissance de Tony Boulot. En l'honneur d'Offenbach, j'ai vendu douze mille dont deux sous hier, la prime a été abandonnée. Trente louis à dévider ce soir avec ces dames. On sait protéger les arts.

Le Critique farouche. Les arts, allons donc! Offenbach est le Paul de Kock de la musique.

Le Baron. Eh bien, après ? Paul de Kock a fait rire Messieurs les pères, Offenbach fait danser le cancan à Messieurs les fils. Le cancan est la musique de l'avenir.

Maxime. A bas Wagner !

Le Baron. Remarquons ensemble ceci, mes très-bons : Paul de Kock et Offenbach sont les êtres les plus parisiens du siècle; ni l'un ni l'autre ne sont de Paris. O décentralisation!

Oscar. La Belgique et l'Autriche, ça se complique. Je vendrai trente mille contre prime de cinq sous, demain matin avant la Bourse.

 

DEUXIÈME ACTE.

Irma. Le plus souvent qu'Oscar aurait été nous chercher des fondants chez Boissier !

Tony Boulot. Fondants demandés, voilà; seulement je veux qu'on m'appelle son petit chien vert.

Juliette. Qu'est-ce qu'on dit au foyer? que dit la critique?

Tony Boulot. Les uns disent ceci, d'autres : C'est pas ça; d'autres : Voilà ce que c'est.

Irma. L'opinion se forme.

Juliette. Avez-vous vu la robe de Cora? une merveille !

Irma. Au moins, si la femme est fanée, la robe ne l'est pas; il faut des compensations.

Oscar. Mesdames, le président vous rappelle à Tordre. Ecoutez donc l'orateur. C'est l'honorable M. Capoul qui dit un petit Alléluia très-senti. Je vous le recommande.

Juliette. C'est très-joli; mais je ne vois pas jusqu'à présent qu'il soit question du journal !

Oscar. Quel journal?

Tony Boulot. Vert-Vert, parbleu !

Maxime. Le journal! il paraîtra seulement vers la fin de la pièce ; c'est une surprise.

Irma. Quelqu'un qui me plaît, c'est Potel.

Maxime. Potel ! je vois ton affaire, encore de la gourmandise. Tu crois que c'est de la maison Potel et Chabot.

Irma. Ça serait un charme de plus. Mais Potel est toujours en militaire, et puis il parle gascon comme un ange. Voyez-moi un peu comme il est supé­rieur à son camarade qui a le nez en vrille.

Juliette. Voilà mademoiselle Cico en dragon. Je vous demande un peu à quoi sert de mettre Cico en dragon ; et puis, franchement, quand on a des jambes aussi insuffisantes...

Irma. On devrait bien rester tranquille.

Tony Boulot. Offenbach l'a exigé, dit-on, il trouve que Cico remplit très-bien son rôle.

Juliette. Son rôle, je ne dis pas, mais son pantalon.

Maxime. Mesdames, une fois encore, je vous rappelle à l'ordre. Voilà les chansons à boire, le besoin commençait à se faire sentir de prendre quelque chose !

Tony Boulot. Ecoulez-moi ça un peu. Du recueillement, Mesdames...

Oscar. Au bout des seconds actes d'Offenbach, il y a toujours un finale, et on danse.

Allons donc, buvons donc, Allons donc, dansons donc.


Les voilà les dragons, les braillards, les pochards! Bravo, Offenbach !

(La toile baisse! Applaudissements universels.)

Maxime. Tu sais, Irma, il y a un gros chauve dans la loge à côté, un homme sérieux, trompette de député ou conseiller d'Etat. Je crois que lu as fait sa conquête. La forte dame qui est sur le devant est furieuse !

Et l'avare Achèron ne lâche pas sa proie.

O Irma ! méfie-toi. Je vais savoir quand paraîtra le journal.

DEUXIEME ACTE

Au foyer

Le Critique farouche. Ils applaudissent encore ! C'est pitoyable ! Le mau­vais goût multiplié par lui-même et parla sottise du public idiot.

Le Baron. Offenbach refuse vingt mille francs de sa partition !

Oscar. Le chef de la mission égyptienne vient de lui apporter le grand
cordon de l'Ibis bleu.
                                                                       v

Maxime. C'est égal, Offenbach se relient trop. Parce qu'on est à l'Opéra-Comique, ce n'est pas une raison.   Quand Offenbach se retient,  son profit ressemble à celui de M. Clapisson.

Le Critique farouche. Voilà la scène prise; une fois encore, pour une centaine de représentations. Et les jeunes auteurs, les disciples de l'art vrai, de la mélodie!...

Tony Boulot. On prétend que Wagner va passer le Rhin demain malin avec une armée de trois cent mille cornets a piston, vieux style, et ophicléides à aiguille.

Oscar. Il faut espérer que le gouvernement  ne  consentira jamais à

sacrifier Offenbach.

 

TROISIÈME ACTE.

 

Irma. Je dois vous avouer franchement que j'attendais des glaces.

Tony Boulot. Vous n'y pensez pas, Madame, c'est ce poulet truffé qui vous attend patiemment au Café Anglais; des glaces maintenant ne seraient pas hygiéniques.


Oscar. La leçon de danse, voilà qui a du chic. Je retrouve enfin mon Offenbach, celui de mes rêves. Et allez donc, Mesdemoiselles, une, deux, le pied à la hauteur du front ; bravo, bravo ! voilà qui me plaît !

Maxime. Jusqu'à présent la partie littéraire n'est pas corsée. Meilhac sans Halévy, c'est un bâton qui a perdu son aveugle. Ça nuit ter.... terrible­ment à mon entrain.

Oscar. Monsieur Maxime, si je n'étais pas avec des femmes comme il faut, après un mot pareil...

Tony Boulot. Nous arrangerons l'affaire au souper.

Juliette. Scène d'amour entre le père Couder et mademoiselle Revilly, c'est toujours cocasse, ces choses-là. Mais c'est égal, je ne comprends pas grand'chose à la pièce.

Tony Boulot. Il n'y a pas de nécessité à ça. Les opéras-comiques n'ont jamais été destinés à être compris. Tiens! voilà Capoul qui est réellement mieux qu'au premier acte.

Oscar. C'est sans doute que ses moustaches ont un peu repoussé.

Tony Boulot. Observation pleine de justesse.

Irma. Voici le mariage de la fin, demandez nos manteaux à l'ouvreuse.

Oscar. Tu sais, Irma, il ne faut pas t'inquiéter si le journal n'est pas encore paru ce soir. On vient de me dire qu'il ne paraîtrait qu'à la seconde.

(La toile baisse. Applaudissements frénétiques.)

M. Palianti, en notaire, vient respectueusement nommer MM. Meilhac et Nuitter, et le maestro Offenbach. Les applaudissements redoublent

Juliette. Ils ont tous l'air très-content. On applaudît vigoureusement, du reste. Je ne m'y connais pas. Si vraiment la pièce est bonne, je verrai ça demain dans mon journal.

Oscar. Allons, mesdames, au Café Anglais.