Inhoud Jean Baptiste Louis Gresset (1709-1777) Les pensionnaires - reconstruit par Louis de Cayrol

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Deze pagina bevat de transcriptie van Les pensionnaires, een aanvulling die door Jean Batiste Louis Gresset geschreven werd op Ver-VertLes pensionnaires is nooit in druk verschenen als zelfstandige uitgave. Bij zijn leven heeft Gresset het wel voorgedragen. Een compleet manuscript is evenmin overgeleverd.

De tekst van Les pensionnaires is gereconstrueerd door L.-N.-J.-J. de Cayrol en opgenomen in deel 2 van zijn Essai Historique sur la vie et les oeuvres de Gresset, Amiens en Parijs 1844. Onderstaande tekst bevat Cayrols reconstructie en zijn voetnoten daarbij. De redactie werd verzorgd door H. van Boxtel.

Voor de huidige transcriptie werd gebruik gemaakt van het exemplaar van de Cayrols werk zoals het door de universiteitsbibliotheek van Ottawa online wordt aangeboden als PDF.

 

LES PENSIONNAIRES

 

Vous dont le coeur a connu l'infortune,

Qui dans l'absence, image de la mort,

Voyez toujours une idée importune,

Plaignez, hélas! plaignez le triste sort

Que l'avenir prépare à nos novices,

Au réfectoire, à la classe, aux offices,

Dans tous les lieux où l'élu du couvent

De leur ennui triomphait si souvent.

Oui, c'en est fait, et les eaux de la Loire

Vont, en fuyant, dérober à Nevers,

Avec l'oiseau emi porte au loin sa gloire,

Cette gaîté dont s'inspiraient mes vers.

Ainsi le veut la fortune inconstante;

Vous sourit-elle, alors tout est plaisir,

Mais, du bonheur que le cours se démente,

On n'ose plus satisfaire un désir;

La joie effraie, et le coeur s'en tourmente,

La douleur seule a droit de le saisir.

A Nevers donc, vers les saintes demeures,

Où plus léger le temps coulait toujours

Quand notre oiseau babillait ses discours,

Un lourd martel va répéter les heures,

Et désormais plus lentes dans leur cours,

Loin d'adoucir le départ des amours,

Loin de fermer la profonde blessure

Qu'aigrit sans cesse un triste souvenir,

Leur monotone et pesante mesure,

Du monastère achève de bannir

Toute lueur de lointaine espérance,

Qu'on peut encore conserver l'assurance

De jours heureux gardés par l'avenir.

Tel est le fruit du funeste voyage

Qui doit porter vers la nantaise plage

Le déserteur dont l'incertain retour

De nos nonnains a glacé le courage;

Et cependant il circule un bruit sourd;

« Les vents, dit-on, retiennent sur la rive

» Pour plusieurs jours le fortuné bateau;

» Ver-Vert demande à rentrer au berceau,

» Et soeur Écoule assure qu'il arrive. »

Alors on court; on s'empresse au parloir,

Chaque recluse aspire à le revoir,

Et déjà même au travers de la grille

1,'illusion, compagne du désir,

Croit découvrir l'émeraude qui brille;

C’est l'exilé qu'une main va saisir,

C'est du couvent la joie et le plaisir;

Espoir trompeur, importune chimère,

Fuyez, ma soeur, fuyez, sensible mère!

D'aucun baiser vous ne pouvez jouir;

Du tour, en vain, la course est circulaire,

L'écho se tait, la grille est solitaire,

Le songe, hélas! vient de s'évanouir.

Quittant alors la foule stupéfaite,

Tendre novice en ce jour de douleur,

Tout tristement regagne sa retraite

Pour rêver seule à son ancien bonheur,

Et se livrer sans aucune contrainte

Aux longs regrets dont son âme est atteinte.

Triste sujet de l'éternel sermon

Du Révérend chargé de faire entendre

Que dans l'élan d'un sentiment trop tendre,

On ne doit voir que l'oeuvre du démon,

Et qu'à ce piège il a toujours su prendre

La grave Abbesse, et la Mère et la Soeur,

La Postulante et la Pensionnaire;

Les gourmandant d'une voix de tonnerre:

« Oui, disait-il, ces caprices du coeur,

» D'une âme pure altèrent la candeur,

» Et leur danger n'est pas imaginaire,

» Puisqu'il ramène à la route ordinaire

» Que suit le monde en sa coupable erreur. »

Poursuivant donc, au milieu de la classe,

Les saints travaux de son apostolat

Avec l'ardeur qui jamais ne se lasse,

Notre bon moine, intrépide soldat,

Double aujourd'hui ses plaintes ordinaires

Et fait trembler tout le pensionnat.

Parmi l'essaim des jeunes prisonnières,

Jadis Ver-Vert se plaisait à venir,

Et dans les coeurs, tendre est le souvenir

De ces baisers, à bouche demi-close,

Ou'on lui donnait, comme innocente chose,

Sans s'avouer qu'en ce trouble charmant,

Sous le plumage on revoit un amant;

Or, c'était là, je dois ici l'écrire,

Ce que savait l'effrayant Capucin;

Sous l'étamine, au mouvement du sein,

Il devinait ce qu'on craignait de dire,

Prévoyant bien qu'en la jeune saison

Le désir naît de l'inexpérience, 1

1 Vers conservés par la tradition. Voyez l'édition de 1811, tome I, page XLV

Et que privé des fruits de la raison,

Le coeur s'éveille avec l'impatience;

On ne sait rien, on cherche à deviner. 2

2 Ibidem.

Mais quand l'esprit ne croit que badiner,

Le coeur déjà n'a plus son innocence,

Et telle arrive à moitié du chemin,

Qui ne se croit qu'au début du voyage:

Il m'en souvient, on va vite à cet âge,

Et la pensée est toute au lendemain.

Ainsi l'enfant tourne sa triste page,

Pour voir bientôt la fin du rudiment,

Et l'innocente à laquelle un moment

Livre d'amour présente sa lumière,

Dans son désir passe rapidement

Du premier mot à la feuille dernière.

Connaissant donc tous les replis du coeur,

Et dominé par une juste peur,

Le Directeur voit chose sérieuse

Dans les désirs dont Ver-Vert est l'objet;

Car, comme on sait, qui dit religieuse, 3

3 Vers conservés par la tradition. Voyez l'édition de 1811

Dit femme prude et surtout curieuse.

Or, abordant brusquement son sujet:

« Quelle est, dit-il, cette étrange conduite?

» Ce vain jouet, que vous regrettez tant,

» Perdait votre âme, et traînait à sa sui t e,

» Autour de vous, partout, à chaque instant,

» L'oubli des lois de notre sainte Église,

» Celle surtout qu'elle ordonne qu'on lise

» En pleine classe, au jardin, au parloir;

» Au lieu d'entendre et le jour et le soir,

» Chaque novice imiter le ramage

» De cet oiseau qu'il ne faut plus revoir,

» Et dont je veux ici briser l'image. »

De la menace arrivant à l'effet,

Hilarion, qu'anime la colère,

Sans plus tarder, arrache le portrait

Qui, loin de lui, va mesurer la terre.

Heureusement que le divin tableau,

Du zèle ardent de cet iconoclaste,

Fut préservé par un épais rideau

Que de nos soeurs l'aiguille toujours chaste

Broda jadis, quand l'étonnant oiseau

Vint dans le cloître exercer son empire;

Sur cette toile il s'anime, il respire;

Rien d'oublié: ses traits, son air coquet,

Le vif émail de sa robe éclatante,

Dans ce portrait tout surprend, tout enchante,

On croit ouïr cet égayant caquet,

Qui lui valut le nom de perroquet.

Le Capucin, après cette victoire,

Remonte en chaire et reprend son sermon,

De dom Ver-Vert il commente l’histoire,

Redit cent fois qu'il est fils du démon,

Et nasillant sa lugubre morale,

Il l'assaisonne avec un bâillement;

Ce narcotique agit si promptement,

Que l'action bientôt fut générale;

A ce signal, un bienfaisant sommeil

De ses pavots vient engourdir la classe,

Sans épargner le donneur de conseil,

Qui, dans sa chaire étendu, se prélasse,

Ferme les yeux presque subitement,

En marmotant un reste de prière,

Dont la vertu l'endort profondément.

Mais, par malheur, d'une étrange manière,

Vous saurez donc que le bon Capucin,

Des sons de l'orgue imitateur fidèle,

En longs éclats surpassait le modèle,

Quand le soufflet que renfermait son sein

Donnait à l'air une libre étendue;

Et grâce aux soins d'une étude assidue,

Il faisait même incessamment briller

En la majeur le jeu du nasiller.

Aux sons bruyants d'une telle harmonie,

Avec la cause on voit cesser l'effet,

Le sommeil fuit, la contrainte est bannie,

Et, bénissant le vigoureux soufflet,

A petit bruit on déserte l'école.

Le jeune essaim dans le jardin s'envole;

Là, du dormeur imitant tous les traits,

Élise, experte à grimer ses attraits,

Parmi les soeurs ose exciter la joie,

Et des chagrins dont le coeur est la proie,

Chassant enfin l'importun souvenir,

Chaque nonnain vole vers l'avenir.

Heureux effet de l'oubli du jeune âge,

Pour conjurer le poison de l'ennui,

Il n'est besoin que d'un enfantillage,

Ou d'imiter par un piquant langage

Le ridicule et les défauts d'autrui:

Rappelant donc la risible aventure

Qui de la classe a suspendu le cours,

On s'émancipe en maint et maint discours,

Et les croquis de la carricature,

A mille jeux présentent leur secours.

Mais, ô douleur! il faut que cela cesse,

Le Révérend, sorti de son sommeil,

Appelle au choeur et novice et professe;

Déjà la cloche en a donné l'éveil;

Son tintement dit aux pensionnaires

Qu'on les attend au sacré tribunal,

Et qu'elles vont y passer les premières;

Or, des méfaits bien long est le journal;

La dernière heure en a grossi le nombre,

Des faux-fuyants on n'a plus même l'ombre,

Et chaque cas pour le moins est mortel.

Le coeur contrit, arrivant à l'autel,

Dévotement la troupe s'agenouille,

De pleurs bientôt l'oeil attendri se mouille,

Et le bon Père, alors plus indulgent,

A ces enfants étrangers au parjure,

Veut bien remettre une légère injure,

Mais sur le reste il est fort, exigeant.

Revenant donc à Ver-Vert, au veuvage

Que dans le cloître a laissé son voyage:

Le moine insiste, et le cas est urgent,

Sur le danger d'y penser davantage

Et d'éprouver ces coupables langueurs,

Dont les effets, en corrompant les coeurs,

D'un autre mal indiquaient le ravage,

Depuis surtout le secret qu'il surprit

A l'ingénue et trop sensible Ermenee,

Secret fatal à son crédule esprit,

Avant-coureur d'une entière démence,

Et qui planant sur la sainte maison,

Peut désormais en bannir la raison:

Mais, sur ce cas, pour qu'on veuille me croire,

De l'orpheline il faut conter l'histoire.

Aux jours heureux du coeur et du bon sens,

Où chaque mère élevant ses enfants,

Ne laissait point remplir à l'aventure

Ce saint devoir qu'impose la nature, 4

4 Vers conservés par la tradition, mais le premier commence par O!

Suçant le lait sur le sein maternel,

Ermence à peine en a cessé l'usage,

Que le malheur devenant son partage,

Il lui ravit jusqu'au toit paternel,

Qu'elle quitta pour le dur esclavage

D'un vieux tuteur que la publique voix,

Sans calomnie, accusait à la fois

De faits hideux qu'enfante l'avarice;

Car nous savons que cet ignoble vice

Est celui-là dont nos docteurs font choix

Quand d'un seul trait ils ont besoin de peindre

Tous les défauts qui peuvent nous atteindre.

Au noir donjon que notre homme habitait,

La jeune Ermence avec elle apportait

Les seuls débris d'une mince fortune;

Son arrivée y fut donc importune,

Et dans le coin d'un méchant galetas,

Que fréquentaient les souris et les rats,

On relégua l'innocente orpheline.

Cet abandon, l'excès de son malheur,

Frappent d'abord sa raison enfantine,

Et les accents du terrible tuteur

Portent l'effroi dans son timide coeur.

Pas n'est besoin de vous faire comprendre

Que désormais, pour appaiser sa faim,

Elle n'a plus qu'un dur morceau de pain,

Heureuse encore s'il ne faut pas l'attendre.

On doit juger par ce maigre festin,

Du triste sort qui devait, avec l'âge,

Chez l'Harpagon être alors son partage;

Quand, rêvant seule à ce fâcheux destin,

Le jeune Arthur un jour vint la surprendre:

De son collége arrivé récemment,

Toujours près d'elle il aimait à se rendre;

Le voisinage en fit presque un amant.

Ce qu'il disait, on aimait à le croire,

D'être conteur Arthur se faisait gloire;

La bonne Ermence ajoutait pleine foi

Aux longs récits qui causaient son effroi,

Et plus le conte était invraisemblable,

Moins on pensait à le traiter de fable;

Tout en ce genre était de bon aloi.

Or, il advint que dans un tête-à-tête,

Lisant le trait de la belle et la bête,

Ermence dit: « Ah! le conte est charmant,

» Quoi! l'on peut voir une semblable chose,

» Et retrouver dans la métamorphose

» Que fait subir ou fée ou nécromant,

» L'ami qu'on aime? — Oui, certainement,

» Reprend Arthur, et rien n'est plus facile,

» Pour contenter sur ce point vos désirs,

» Me transformant en perroquet docile,

» Je puis un jour visiter cet asile,

» Et par ma voix charmer tous vos loisirs. »

Mais, cependant, le temps fuit, et l'école

Laisse enfin seule Ermence en son réduit;

L'ennui revient, sa santé se détruit,

A ses discours, son tuteur la croit folle,

Il cherche un cloître et bientôt la conduit

Droit à Nevers, chez nos Visitandines:

Grâce aux bons soins des charitables soeurs,

De la santé reprenant les couleurs,

Ermence y joint ces grâces enfantines,

Qui du couvent lui gagnent tous les coeurs.

De son esprit la teinte originale,

N'offre plus rien de celte erreur fatale

Qui, chez son oncle, a troublé sa raison.

On crut ses sens remis à l'unisson.

Mais, toutefois, sur son joli visage

Paraît encor quelque léger nuage;

Ses yeux alors perdent de leur éclat;

Des soins d'Arthur c'était le résultat.

Le Capucin connaissait cet orage,

Il grondait fort, quand notre perroquet

Dans le couvent prit un si grand empire

Par l'ascendant de son brillant caquet;

Avec Ermence il aimait fort à rire,

Souvent sur elle il cherchait à percher,

De préférence il voulait l'approcher,

Et son doigt seul pouvait le faire lire.

La faible Ermence alors imagina

Que sous les traits de l'oiseau des merveilles,

Le jeune Arthur lui consacrait ses veilles,

Et son esprit tellement chemina,

En se forgeant cette métamorphose,

Qu'il ne pouvait s'occuper d'autre chose.

Lors, de l'oiseau, quand advint le départ,

On vit Ermence inquiète, troublée,

Les yeux en pleurs se promener à part,

Et du jardin, surtout, fuir l'assemblée.

D'Hilarion s'accrut alors l'ardeur,

Sachant que plus une erreur est grossière,

Plus elle agit sur la gent moutonnière,

Et plus le mal augmente en profondeur.

S'empressant donc, avec un soin extrême,

De garantir notre enfant d'elle-même,

Pour rendre un peu de calme à son cerveau,

Il crut devoir mitiger sa sentence,

Ne lui donnant pour toute pénitence

Que de s'enfuir en voyant un oiseau;

Et, cependant, on dit que l'orpheline,

De son tuteur redoutant le couvert,

Et tous les mets de sa froide cuisine,

Au Saint-Moutier se fit Visitandine,

Espérant bien y revoir Dom Ver-Vert,

Et retrouver sous son brillant plumage

Le jeune ami qui fit battre son coeur.

Un calme heureux succédant à l'orage,

On vit enfin la trop sensible soeur,

Vers l'avenir marcher avec courage

En laissant croire au zélé confesseur,

Que dans le cloître à tout jamais recluse,

Et strictement soumise à son devoir,

Du voyageur que le bon Père accuse,

Elle n'a plus à craindre le pouvoir;

Qu'impunément elle peut le revoir,

Quand tout lui dit que dans le monastère,

L'oiseau charmant ètait malin et soir

Tout l'agrément, le charme de l'Ouvroir.

Ce dernier mot sera pour le vulgaire,

Assurément, d'une langue étrangère,

Mais si chacun promet d'être discret,

De notre Ouvroir j'essaierai le portrait. 5

5 Ces six derniers vers appartiennent au fragment n° 1, qui m'a été communiqué par MM. Gresset, et qui porte au haut de la page fin du chant précédent, c'est-à-dire du chant des Pensionnaires, puisque tous les autres vers de ce fragment se rapportent au chant de l'Ouvroir.

La copie de M. de Wailly, dont j'ai fait mention plus haut, n'est pas tout-à-fait conforme, par rapport à ces six vers, à la leçon du fragment n° 1. Ainsi, au premier vers, cette copie porte brillant au lieu de charmant; au second il y a ornement au lieu d'agrément; enfin au sixième, je trace remplace j'essaierai. Ces variantes sont légères, mais cependant j'ai dû les signaler dans l'intérêt de la vérité.