Inhoud Jean Baptiste Louis Gresset (1709-1777) Ver-Vert

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Chant premier

Vous, près de qui les graces solitaires
brillent sans fard, et regnent sans fierté,
vous, dont l'esprit, né pour la vérité,
sçait allier à des vertus austeres
le goût, les ris, l'aimable liberté ;
puisqu'à vos yeux vous voulez que je trace
d'un noble oiseau la touchante disgrace,
soyez ma muse, échauffez mes accens,
et prêtez-moi ces sons intéressans,
ces tendres sons que forma votre lyre,
lorsque Sultane, au printems de ses jours,
fut enlevée à vos tristes amours,
et descendit au ténébreux empire :
de mon héros les illustres malheurs,
peuvent aussi se promettre vos pleurs.
Sur sa vertu, par le sort traversée,
sur son voyage et ses longues erreurs,
on auroit pû faire une autre odissée ;
et, par vingt chants, endormir les lecteurs :
on auroit pû, des fables surannées,
ressusciter les diables et les dieux ;
des faits d' un mois, occuper des années ;
et, sur des tons d' un sublime ennuyeux,
psalmodier la course infortunée
d' un perroquet, non moins brillant qu' énée,
non moins dévôt, plus malheureux que lui.
Mais trop de vers entraînent trop d' ennui.
Les muses sont des abeilles volages ;
leur goût voltige, il fuit les longs ouvrages ;
et, ne prenant que la fleur d' un sujet,
vole bien-tôt sur un nouvel objet.
Dans vos leçons j'ai puisé ces maximes ;
puissent vos loix se lire dans mes rimes !
Si, trop sincere, en traçant ces portraits,
j'ai dévoilé les mistéres secrets,
l'art des parloirs, la science des grilles,
les graves riens, les mistiques vetilles,
votre enjoûment me passera ces traits ;
votre raison, exempte de foiblesses,
sçait vous sauver ces fades petitesses ;
sur votre esprit, soumis au seul devoir,
l'illusion n'eut jamais de pouvoir :
vous sçavez trop qu'un front que l'art déguise,
plaît moins au ciel qu'une aimable franchise.
Si la vertu se montroit aux mortels,
ce ne seroit, ni par l'art des grimaces,
ni sous des traits farouches et cruels,
mais sous votre air, ou sous celui des graces
qu'elle viendroit mériter nos autels.
Dans maint auteur de science profonde,
j'ai lû qu'on perd à trop courir le monde ;
très-rarement en devient-on meilleur :
un sort errant ne conduit qu'à l'erreur.
Il nous vaut mieux vivre au sein de nos lares,
et conserver, paisibles casaniers,
notre vertu dans nos propres foyers,
que parcourir bords lointains et barbares ;
sans quoi le cœur, victime des dangers,
revient chargé des vices étrangers.
L'affreux destin du héros que je chante,
en éternise une preuve touchante :
tous les échos des parloirs de Nevers,
si l'on en doute, attesteront mes vers.
à Nevers donc chez les visitandines,
vivoit n'aguére un perroquet fameux,
à qui son art et son cœur généreux,
ses vertus même, et ses graces badines,
auroient dû faire un sort moins rigoureux,
si les beaux cœurs étoient toûjours heureux.
Ver-Vert (c'étoit le nom du personnage)
transplanté là de l'indien rivage,
fut, jeune encor, ne sçachant rien de rien,
au susdit cloître enfermé pour son bien ;
il étoit beau, brillant, leste et volage,
aimable et franc comme on l' est au bel âge ;
né tendre et vif, mais encore innocent ;
bref, digne oiseau d'une si sainte cage,
par son caquet digne d'être en couvent.
Pas n'est besoin, je pense, de décrire,
les soins des sœurs, des nones, c'est tout dire ;
et chaque mere, après son directeur,
n'aimoit rien tant ; même dans plus d'un cœur,
ainsi l'écrit un chroniqueur sincére,
souvent l'oiseau l'emporta sur le pere.
Il partageoit dans ce paisible lieu,
tous les sirops dont le cher pere en Dieu,
grace aux bienfaits des nonettes sucrées,
réconfortoit ses entrailles sacrées.
Objet permis à leur oisif amour,
Ver-Vert étoit l'ame de ce séjour ;
exceptez-en quelques vieilles dolentes,
des jeunes cœurs jalouses surveillantes,
il étoit cher à toute la maison.
N'étant encor dans l'âge de raison,
libre, il pouvoit et tout dire et tout faire ;
il étoit sûr de charmer et de plaire.
Des bonnes sœurs égayant les travaux,
il becquetoit et guimpes et bandeaux :
il n'étoit point d' agréable partie,
s'il n' y venoit briller, caracoller,
papillonner, siffler, rossignoler ;
il badinoit, mais avec modestie,
avec cet air timide et tout prudent,
qu'une novice a même en badinant.
Par plusieurs voix interrogé sans cesse,
il répondoit à tout avec justesse.
Tel autrefois César, en meme tems,
dictoit à quatre, en stiles différens.
Admis par tout, si l'on en croit l'histoire,
l'amant chéri mangeoit au réfectoire :
là, tout s'offroit à ses friands desirs ;
outre qu'encor, pour ses menus plaisirs,
pour occuper son ventre infatigable,
pendant le tems qu'il passoit hors de table,
mille bonbons, mille exquises douceurs
chargeoient toujours les poches de nos sœurs.
Les petits soins, les attentions fines,
sont nés, dit-on, chez les visitandines ;
l'heureux Ver-Vert l'eprouvoit chaque jour ;
plus mitonné qu'un perroquet de cour,
tout s'occupoit du beau pensionnaire ;
ses jours couloient dans un noble loisir :
au grand dortoir il couchoit d'ordinaire,
là, de cellule il avoit à choisir :
heureuse encor, trop heureuse la mere
dont il daignoit au retour de la nuit,
par sa présence honorer le réduit !
Très-rarement les antiques discretes,
logeoient l'oiseau ; des novices propettes
l'alcove simple étoit plus de son goût ;
car, remarquez qu'il étoit propre en tout.
Quand, chaque soir, le jeune anachorette
avoit fixé sa nocturne retraite,
jusqu'au lever de l'astre de Venus
il reposoit sur la boëtte aux agnus :
à son réveil, de la fraîche nonette
libre témoin, il voyoit la toilette,
je dis toilette, et je le dis tout bas ;
oüi, quelque part, j'ai lû, qu'il ne faut pas,
aux fronts voilés, des miroirs moins fideles
qu'aux fronts ornés de ponpons et dentelles :
ainsi qu'il est pour le monde et les cours,
un art, un goût de modes et d'atours,
il est aussi des modes pour le voile ;
il est un art de donner d'heureux tours
à l'étamine, à la plus simple toile :
souvent l'essain des folâtres amours,
essain qui sçait franchir grilles et tours,
donne aux bandeaux une grâce piquante,
un air galant à la guimpe flotante ;
enfin, avant de paroître au parloir,
on doit au moins deux coups d'œil au miroir.
Ceci soit dit, entre nous, en silence ;
sans autre écart revenons au héros.
Dans ce séjour de l'oisive indolence,
Ver-Vert vivoit sans ennuis, sans travaux,
dans tous les cœurs il regnoit sans partage :
pour lui sœur Thecle oublioit les moineaux ;
quatre serins en étoient morts de rage,
et deux matous, autrefois en faveur,
dépérissoient d'envie et de langueur.
Qui l'auroit dit ! Dans ces jours pleins de charmes,
qu'en pure perte on cultivoit ses mœurs,
qu'un tems viendroit, tems de crime et d'allarmes,
où ce Ver-Vert, tendre idole des cœurs,
ne seroit plus qu'un triste objet d'horreurs !
Arrête, muse, et retarde les larmes
que doit coûter l'aspect de ces malheurs,
fruit trop amer des égards de nos sœurs.

 

Samenvatting - Aperçu

VER-VERT. Poème que Jean-Baptiste Louis Gresset (1709-1777) composa en 1733 et publia en 1734. Ver-Vert, le héros de cette épopée en miniature, est un perroquet, qui a été transporté, dans son âge le plus tendre, de ses rives natales au couvent des visitandines de Nevers. L'oiseau divertit infiniment les religieuses ; celles-ci ont pour ses incartades et facéties toutes les indulgences : il va et vient à travers cellules et parloirs, répétant de la manière la plus enjoleuse les formules de prière qu'il entend autour de lui. Sa réputation parvient jusqu'au Couvent des Visitandines de Nantes, qui manifestent le désir de contempler cette merveille : elles écrivent, supplient, attendent avec la plus grande impatience qu'on veuille bien leur confier le perroquet. Il n'est pas possible de leur opposer un perpétuel refus ; de sorte que Ver-Vert doit quitter ses tendres amies en pleurs et s'exiler pour quinze jours, appelé par le souci de sa gloire. Mais le bateau sur lequel il prend place transporte, outre les bateliers, des soldats et des femmes de petite vertu, qui se chargent d'enrichir à leur façon le vocabulaire de l'oiseau. Le vertueux élève des nonnes se met à blasphémer furieusement, ce qui ne laisse point de stupéfier et de scandaliser les Visitandines de Nantes : il revient, perdu de réputation, chez celles qui l'ont élevé. Le conseil de discipline le condamne à de longs mois d'abstinence et de silence, à l'issue de quoi, le fils prodigue, repentant, reconquiert toutes les faveurs de ses amies. Mais, gorgé à nouveau de sucre et de liqueurs, il succombe, ayant perdu l'habitude de ces excès. On l'enterre sous une pieuse épi-taphe : son âme jacassante continue cependant de vivre au couvent, passant par métempsycose d'une religieuse à une autre. Dans la galerie des animaux célèbres que la tendresse humaine a su parer des couleurs de la poésie, le perroquet de Gresset occupe une place toute particulière a cause de l'étrangeté du monde dans lequel il vit. Une communauté de femmes, accoutumées à tous les raffinements et dispensées de préoccupations sérieuses, présente bien le climat le plus propre au développement de certaine sensibilité et à ses déformations. Le court poème, première œuvre de Gresset, valut à son auteur l'admiration de J.-J. Rousseau, et devint si populaire qu'on s'en inspira pour décorer des porcelaines de Sèvres. Certains scrupules religieux amenèrent Gresset à supprimer deux chants ; mais le reste suffisait amplement à montrer que l'auteur n'était point destiné à rester longtemps chez les Jésuites, où il avait cru bon d'entrer tout jeune ; la publication de ses œuvres le contraignit à les quitter. Gresset écrivit plusieurs autres « badinages » en vers, petites épopées légères et pétillantes d'esprit, parmi lesquelles le Carême impromptu, le Lutrin vivant, la Chartreuse (où il décrit sa jeunesse studieuse et insouciante), mais aucun ne connut le succès de Ver-Vert qui l'apparente à Marot, à Voiture, au Boileau malicieux des Satires et du Lutrin, enfin à son contemporain, Voltaire.

Source: Dictionnaire des oeuvres - Laffont & Bompiani, 1954

 

Chant deuxième

On juge bien qu'étant à telle école
point ne manquoit du don de la parole ;
l'oiseau disert, hormis dans les repas,
tel qu'une none il ne déparloit pas :
bien est-il vrai qu'il parloit comme un livre,
toûjours d'un ton confit en sçavoir vivre.
Il n'étoit point de ces fiers perroquets
que l'air du siecle a rendu trop coquets,
et qui, siflés par des bouches mondaines,
n'ignorent rien des vanités humaines.
Ver-Vert étoit un perroquet dévot,
une belle ame innocemment guidée,
jamais du mal il n'avoit eu l'idée,
ne disoit onc un immodeste mot :
mais en revanche, il sçavoit des cantiques,
des oremus , des colloques mistiques,
il disoit bien son benedicite ,
et notre mere , et votre charité .
Il sçavoit même un peu de soliloque
et des traits fins de Marie Alacoque.
Il avoit eu dans ce docte manoir,
tous les secours qui menent au sçavoir :
il étoit là, maintes filles sçavantes,
qui, mot pour mot, portoient dans leurs cerveaux,
tous les noëls anciens et nouveaux.
Instruit, formé par leurs leçons fréquentes,
bien-tôt l'eleve égala ses régentes ;
de leur ton même, adroit imitateur,
il exprimoit la pieuse lenteur,
les saints soupirs, les notes languissantes
du chant des sœurs, colombes gémissantes ;
finalement, Ver-Vert sçavoit, par cœur,
tout ce que sçait une mere de chœur.
Trop resserré dans les bornes d'un cloître,
un tel mérite au loin se fit connoître ;
dans tout Nevers, du matin jusqu'au soir,
il n'étoit bruit que des scenes mignones
du perroquet des bienheureuses nones ;
de Moulins même on venoit pour le voir.
Le beau Ver-Vert ne bougeoit du parloir.
Sœur Mélanie, en guimpe toûjours fine,
portoit l'oiseau : d'abord, aux spectateurs,
elle en faisoit admirer les couleurs,
les agrémens, la douceur enfantine ;
son air heureux ne manquoit point les cœurs.
Mais la beauté du tendre Néophite
n'étoit encor que le moindre mérite ;
on oublioit ses attraits enchanteurs,
dès que sa voix frappoit les auditeurs.
Orné, rempli de saintes gentillesses
que lui dictoient les plus jeunes professes,
l'illustre oiseau commençoit son récit ;
à chaque instant, de nouvelles finesses,
des charmes neufs varioient son débit ;
eloge unique et difficile à croire,
pour tout parleur qui dit publiquement ;
nul ne dormoit dans tout son auditoire !
Quel orateur en pourroit dire autant ?
On l'écoutoit, on vantoit sa memoire ;
lui, cependant, stilé parfaitement,
bien convaincu du néant de la gloire,
se rengorgeoit toûjours dévotement
et triomphoit toûjours modestement.
Quand il avoit débité sa science,
serrant le bec, et parlant en cadence,
il s'inclinoit d'un air sanctifié
et laissoit là son monde édifié :
il n'avoit dit que des phrases gentilles,
que des douceurs ; excepté quelques mots
de médisance, et tels propos de filles
que, par hazard, il apprenoit aux grilles,
ou que nos sœurs traitoient dans leur enclos,
ainsi vivoit, dans ce nid délectable,
en maître, en saint, en sage véritable,
pere Ver-Vert, cher à plus d'une Hebé ;
gras comme un moine, et non moins vénérable,
beau comme un cœur, sçavant comme un abbé ;
toûjours aimé comme toûjours aimable,
civilisé, musqué, pincé, rangé,
heureux enfin, s'il n'eut pas voyagé.
Mais vint ce tems d'affligeante mémoire,
ce tems critique où s'éclipse sa gloire.
ô crime ! ô honte ! ô cruel souvenir !
Fatal voyage ! Aux yeux de l'avenir,
que ne peut-on en dérober l'histoire ?
Ah ! Qu'un grand nom est un bien dangereux ?
Un sort caché fut toûjours plus heureux.
Sur cet exemple, on peut ici m'en croire ;
trop de talens, trop de succès flatteurs
traînent souvent la ruine des mœurs.
Ton nom, Ver-Vert, tes proüesses brillantes
ne furent point bornés à ces climats ;
la renommée annonça tes appas,
et vint porter ta gloire jusqu'à Nantes.
Là, comme on sçait, la visitation
a son bercail de révérendes meres,
qui, comme ailleurs, dans cette nation,
à tout sçavoir ne sont pas les dernieres ;
par quoy, bien-tôt, apprenant des premieres
ce qu' on disoit du perroquet vanté,
desir leur vint d'en voir la vérité.
Desir de fille est un feu qui dévore,
desir de none est cent fois pis encore.
Déja les cœurs s'envolent à Nevers,
voilà, d'abord, vingt têtes à l'envers
pour un oiseau. L'on écrit tout à l'heure
en nivernois à la supérieure,
pour la prier que l'oiseau plein d'attraits
soit, pour un tems, amené par la Loire ;
et que, conduit aux rivages nantais,
lui-même il puisse y jouir de sa gloire,
et se prêter à de tendres souhaits.
La lettre part. Quand viendra la réponse ?
Dans douze jours. Quel siécle jusques là !
Lettre sur lettre et nouvelle semonce :
on ne dort plus : sœur Cecile en mourra.
Or, à Nevers, arrive enfin l'epitre.
Grave sujet : on tient le grand chapitre.
Telle requête effarouche d' abord.
Perdre Ver-Vert ? ô ciel ! Plûtôt la mort.
Dans ces tombeaux, sous ces tours isolées,
que ferons-nous si ce cher oiseau sort ?
Ainsi parloient les plus jeunes voilées
dont le cœur vif, et las de son loisir
s'ouvroit encore à l'innocent plaisir ;
et, dans le vray, c'étoit la moindre chose
que cette troupe étroitement enclose
à qui, d'ailleurs, tout autre oiseau manquoit,
eût pour le moins un pauvre perroquet.
L'avis, pourtant, des meres assistantes,
de ce sénat antiques présidentes,
dont le vieux cœur aimoit moins vivement,
fut d'envoyer le pupile charmant
pour quinze jours ; car, en têtes prudentes,
elles craignoient qu'un refus obstiné
ne les broüillât avec nos sœurs de Nantes ;
ainsi jugea l'etat embeguiné.
Après ce Bill des miledis de l'ordre,
dans la commune, arrive grand désordre :
quel sacrifice ! Y peut-on consentir ?
Est-il donc vray ? (dit la sœur Seraphine)
quoy, nous vivons, et Ver-Vert va partir ! ...
d'une autre part, la mere sacristine
trois fois pâlit, soûpire quatre fois,
pleure, frémit, se pâme, perd la voix :
tout est en deuil : je ne sçai quel présage,
d'un noir crayon, leur trace ce voyage.
Pendant la nuit, des songes pleins d'horreur,
du jour encor redoublent la terreur.
Trop vains regrets ! L'instant funeste arrive :
ja, tout est prêt sur la fatale rive ;
il faut enfin se résoudre aux adieux,
et commencer une absence cruelle ;
ja, chaque sœur gémit en tourterelle,
et plaint, d'avance un veuvage ennuyeux.
Que de baisers, au sortir de ces lieux,
reçût Ver-Vert ! Quelles tendres allarmes !
On se l'arrache, on le baigne de larmes :
plus il est prêt de quitter ce séjour,
plus on lui trouve et d'esprit et de charmes ;
enfin, pourtant il a passé le tour :
du monastere, avec lui, fuit l'amour.
Pars, va, mon fils, vôle où l'honneur t'appelle ;
reviens charmant, reviens toûjours fidele ;
que les zéphirs te portent sur les flots :
tandis qu'ici dans un triste repos
je languirai forcément exilée,
sombre, inconnuë, et jamais consolée :
pars, cher Ver-Vert ; et, dans ton heureux cours,
sois pris, par tout, pour l'aîné des amours.
Tel fut fut l'adieu d'une nonain poupine,
qui, pour distraire et charmer sa langueur,
entre deux draps, avoit, à la sourdine,
très-souvent fait l'oraison dans Racine,
et qui, sans doute, auroit, de très-grand cœur,
loin du couvent, suivi l'oiseau parleur.
Mais c'en est fait, on embarque le drôle ;
jusqu'à présent, vertueux, ingenu,
jusqu'à présent, modeste en sa parole :
puisse son cœur constamment défendu,
au cloître, un jour, rapporter sa vertu !
Quoiqu' il en soit, déja la rame vole,
du bruit des eaux les airs ont retenti,
un bon vent souffle, on part, on est parti.

  
 

 

Chant troisième

La même nef legere et vagabonde,
qui voituroit le saint oiseau sur l'onde,
portoit aussi, deux nymphes, trois dragons,
une nourice, un moine, deux gascons :
pour un enfant qui sort du monastere,
c'étoit écheoir en dignes compagnons !
Aussi, Ver-Vert ignorant leurs façons,
se trouva là, comme en terre étrangere ;
nouvelle langue et nouvelles leçons.
L'oiseau surpris n'entendoit point leur stile ;
ce n'étoit plus paroles d'evangile ;
ce n'étoit plus ces pieux entretiens,
ces traits de bible et d'oraisons mentales
qu'il entendoit chez nos douces vestales :
mais, de gros mots, et non des plus chrétiens ;
car, les dragons, race assez peu dévote,
ne parloient là que langue de gargotte ;
charmant au mieux les ennuis du chemin,
ils ne fêtoient que le patron du vin ;
puis les gascons et les trois peronelles
y concertoient sur des tons de ruelles :
de leur côté, les bateliers juroient,
rimoient en Dieu, blasphémoient et sacroient.
Leur voix stilée aux tons mâles et fermes,
articuloit sans rien perdre des termes.
Dans le fracas, confus, embarrassé,
Ver-Vert gardoit un silence forcé ;
triste, timide, il n'osoit se produire,
et ne sçavoit que penser ni que dire.
Pendant la route, on voulut, par faveur,
faire causer le perroquet rêveur ;
frere Lubin, d'un ton peu monastique,
interrogeant le beau mélancolique,
l'oiseau benin prend son air de douceur ;
et, vous poussant un soupir méthodique,
d'un ton pedant, répond, ave, ma sœur .
à cet ave , jugez si l'on dut rire :
tous en chorus bernent le pauvre sire ;
ainsi berné, le novice interdit,
comprit en soi qu'il n'avoit pas bien dit,
et qu'il seroit mal mené des comeres,
s'il ne parloit la langue des confreres :
son cœur né fier, et qui, jusqu'à ce tems,
avoit été nourri d'un doux encens,
ne put garder sa modeste constance
dans cet assaut de mépris fletrissans :
à cet instant, en perdant patience,
Ver-Vert perdit sa premiere innocence :
dès lors, ingrat, en soi-même il maudit
les cheres sœurs ses premieres maîtresses
qui n'avoient point sçû mettre en son esprit,
du beau françois les brillantes finesses,
les sons nerveux et les délicatesses.
à les apprendre il met donc tous ses soins,
parlant très-peu ; mais n'en pensant pas moins.
D'abord, l'oiseau, comme il n'étoit pas bête,
pour faire place à de nouveaux discours,
vit qu'il devoit oublier, pour toujours,
tous les gaudés qui farcissoient sa tête,
ils furent tous oubliés en deux jours,
tant il trouva la langue à la dragone
plus du bel air que les termes de none.
En moins de rien, l'éloquent animal,
hélas ! Jeunesse apprend trop bien le mal !
L'animal, dis-je, éloquent et docile,
en moins de rien, fut rudement habile.
Bien vîte il sçut jurer et maugréer,
mieux qu'un vieux diable, au fond d'un benitier :
il démentit les célébres maximes
où nous lisons, qu'on ne vient aux grands crimes
que par dégrés. Il fut un scélerat
profès d'abord et sans noviciat.
Trop bien sçut-il graver en sa mémoire,
tout l'alphabet des bateliers de Loire ;
dès qu'un d'iceux, dans quelque vertigo,
lâchoit un mor ... Ver-Vert faisoit l'écho.
Lors, applaudi par la bande susdite,
fier et content de son petit mérite,
il n'aima plus que le honteux honneur
de sçavoir plaire au monde suborneur ;
et dégradant son généreux organe,
il ne fut plus qu'un orateur profane.
Faut-il, qu'ainsi, l'exemple séducteur,
du ciel au diable emporte un jeune cœur !
Pendant ces jours, durant ces tristes scénes,
que faisiez-vous dans vos cloîtres déserts,
chastes Iris du couvent de Nevers ?
Sans doute, hélas ! Vous faisiez des neuvaines
pour le retour du plus grand des ingrats,
pour un volage indigne de vos peines,
et qui, soumis à de nouvelles chaînes,
de vos amours ne faisoit plus de cas.
Sans doute, alors, l'accès du monastere
etoit d'ennuis tristement obsedé ;
la grille étoit dans un deuil solitaire,
et le silence étoit presque gardé.
Cessez vos vœux, Ver-Vert n'en est plus digne ;
Ver-Vert n'est plus cet oiseau réverend,
ce perroquet d'une humeur si benigne,
ce cœur si pur, cet esprit si fervent ;
vous le dirai-je ? Il n'est plus qu'un brigand,
lâche apostat, blasphémateur insigne ;
les vents légers, et les nymphes des eaux
ont moissonné le fruit de vos travaux.
Ne vantez point sa science infinie :
sans la vertu, que vaut un grand génie ?
N'y pensez plus, l'infame a, sans pudeur,
prostitué ses talens et son cœur.
Déjà, pourtant, on approche de Nantes,
où languissoient nos sœurs impatientes ;
pour leurs désirs le jour trop tard naissoit,
des cieux, trop tard, le jour disparoissoit.
Dans ces ennuis, l'espérance flateuse,
à nous tromper toujours ingénieuse,
leur promettoit un esprit cultivé,
un perroquet noblement élevé,
une voix tendre, honnête, édifiante,
des sentimens, un mérite achevé :
mais, ô douleur ! ô vaine et fausse attente !
La nef arrive, et l'équipage en sort.
Une tourriére étoit assise au port
dès le départ de la premiere lettre :
là, chaque jour, elle venoit se mettre ;
ses yeux errans sur le lointain des flots,
sembloient hâter le vaisseau du héros.
En débarquant auprès de la béguine,
l'oiseau madré la connut à la mine,
à son œil prude ouvert en tapinois,
à sa grand' coëffe, à sa fine étamine,
à ses gants blancs, à sa mourante voix,
et, mieux encore, à sa petite croix :
il en frémit, et même il est croyable,
qu'en militaire, il la donnoit au diable ;
trop mieux aimant suivre quelque dragon,
dont il sçavoit le bachique jargon,
qu'aller apprendre encor les litanies,
la revérence, et les cérémonies :
mais force fut au grivois dépité
d'être conduit au gîte détesté.
Malgré ses cris, la touriére l'emporte :
il la mordoit, dit-on, de bonne sorte,
chemin faisant ; les uns disent au cou,
d'autres au bras, on ne sçait pas bien où :
d'ailleurs, qu'importe ? à la fin, non sans peine,
dans le couvent la béate l'emmeine ;
elle l'annonce. Avec grande rumeur
le bruit en court. Aux premiéres nouvelles,
la cloche sonne. On étoit lors au chœur ;
on quitte tout, on court, on a des aîles :
c'est lui, ma sœur, il est au grand parloir.
On vole en foule, on grille de le voir ;
les vieilles même, au marcher simêtrique,
des ans tardifs ont oublié le poids :
tout rajeunit ; et la mere Angélique
courut alors pour la premiére fois.

 

 

Chant quatrième
 

On voit enfin, on ne peut se repaître
assez les yeux des beautés de l'oiseau :
c'étoit raison ; car le fripon, pour être
moins bon garçon, n'en étoit pas moins beau.
Cet œil guerrier, et cet air petit-maître
lui prétoient même un agrément nouveau.
Faut-il, grand dieu ! Que sur le front d'un traître,
brillent ainsi les plus tendres attraits !
Que ne peut-on distinguer et connoître
les cœurs pervers à de difformes traits ?
Pour admirer les charmes qu'il rassemble,
toutes les sœurs parlent toutes ensemble ;
en entendant cet essain bourdonner,
on eût, à peine, entendu Dieu tonner :
lui, cependant, parmi tout ce vacarme,
sans daigner dire un mot de pieté,
rouloit les yeux d'un air de jeune carme.
Premier grief. Cet air trop effronté
fut un scandale à la communauté.
En second lieu, quand la mere prieure,
d'un air auguste, en fille intérieure,
voulut parler à l'oiseau libertin :
pour premiers mots, et pour toute réponse,
nonchalament, et d'un air de dédain,
sans bien songer aux horreurs qu'il prononce,
mon gars répond, avec un ton faquin :
par la corbleu ! Que les nonnes sont folles !
L'histoire dit, qu'il avoit, en chemin,
d'un de la troupe entendu ces paroles.
à ce début, la sœur saint Augustin,
d'un air sucré, voulant le faire taire,
et lui disant : fi donc ! Mon très-cher frere.
Le très-cher frere indocile et mutin,
vous la rima très-richement en tain.
Vive Jesus ! Il est sorcier, ma mere,
reprend la sœur ; juste dieu ! Quel coquin !
Quoi ! C'est donc là ce perroquet divin ?
Ici Ver-Vert, en vrai gibier de greve,
l'apostropha d'un la peste te creve .
Chacune vint pour brider le caquet
du grenadier, chacune eut son paquet ;
turlupinant les jeunes précieuses,
il imitoit leur couroux babillard ;
plus déchaîné sur les vieilles grondeuses,
il bafoüoit leur sermon nazillard :
ce fut bien pis, quand, d'un ton de corsaire,
las, excédé de leurs fades propos,
bouffi de rage, écumant de colere,
il entonna tous les horribles mots
qu'il avoit sçû rapporter des bateaux ;
jurant, sacrant d' une voix dissoluë,
faisant passer tout l'enfer en revûë,
les b. les f. voltigeoient sur son bec.
Les jeunes sœurs crurent qu'il parloit grec.
jour de dieu ! ... mor ! ... mille pipes de diables !
Toute la grille, à ces mots effroyables,
tremble d'horreur ; les nonettes sans voix
font, en fuyant, mille signes de croix :
toutes, pensant être à la fin du monde,
courent en poste, aux caves du couvent ;
et, sur son nez, la mere Cunegonde
se laissant cheoir, perd sa derniere dent.
Ouvrant à peine un sépulcral organe,
pere éternel ! Dit la sœur Bibiane,
miséricorde ! Ah ! Qui nous a donné
cet antechrist, ce démon incarné ?
Mon doux sauveur ! En quelle conscience
peut-il ainsi jurer comme un damné ?
Est-ce donc là l'esprit et la science
de ce Ver-Vert si chéri, si prôné ?
Qu'il soit banni, qu'il soit remis en route.
ô dieu d'amour ! Reprend la sœur ecoute,
quelles horreurs ! Chez nos sœurs de Nevers,
quoi ! Parle-t-on ce langage pervers ?
Quoi ! C'est ainsi qu'on forme la jeunesse ?
Quel hérétique ! ô divine sagesse !
Qu'il n' entre point ; avec ce Lucifer,
en garnison, nous aurions tout l'enfer.
Conclusion. Ver-Vert est mis en cage ;
on se résout, sans tarder davantage,
à renvoyer le parleur scandaleux.
Le pelerin ne demandoit pas mieux :
il est proscrit, déclaré détestable,
abominable, atteint et convaincu
d'avoir tenté d'entamer la vertu
des saintes sœurs : toutes de l'execrable
signent l'arrêt en pleurant le coupable ;
car quel malheur qu'il fût si dépravé,
n'étant encor qu'à la fleur de son âge !
Et qu'il portât, sous un si beau plumage,
la fiére humeur d'un escroc achevé,
l'air d'un payen, le cœur d'un réprouvé.
Il part enfin porté par la tourriére,
mais sans la mordre, en retournant au port ;
une cabane emporte le compere,
et, sans regret, il fuit ce triste bord.
De ses malheurs telle fut l'iliade.
Quel désespoir ! Lorsqu'enfin, de retour,
il vint donner pareille sérénade,
pareil scandale en son premier séjour !
Que résoudront nos sœurs inconsolables ?
Les yeux en pleurs, les sens d'horreur troublés,
en manteaux longs, en voiles redoublés,
au discrétoire, entrent neuf vénérables ;
figurez-vous neuf siécles assemblés.
Là, sans espoir d'aucun heureux suffrage,
privé des sœurs qui plaideroient pour lui,
en plein parquet, enchaîné dans sa cage,
Ver-Vert paroît sans gloire et sans appui.
On est aux voix ; déjà deux des sibilles,
en billets noirs ont crayonné sa mort ;
deux autres sœurs, un peu moins imbécilles,
veulent, qu'en proye à son malheureux sort,
on le renvoye au rivage profane
qui le vit naître avec le noir Bracmane :
mais, de concert, les cinq derniéres voix,
du châtiment déterminent le choix.
On le condamne à deux mois d'abstinence,
trois de retraite, et quatre de silence ;
jardins, toilette, alcoves et biscuits,
pendant ce tems, lui seront interdits :
ce n'est point tout, pour comble de misere,
on lui choisit pour garde, pour geoliére,
pour entretien, l'Alecton du couvent,
une converse, infante doüairiere,
singe voilé, squelette octogenaire,
spectacle fait pour l'œil d'un pénitent.
Malgré les soins de l'Argus inflexible,
dans leurs loisirs, souvent d'aimables sœurs,
venant le plaindre avec un air sensible,
de son exil suspendoient les rigueurs.
Sœur Rosalie, au retour de matines,
plus d'une fois lui porta des pralines :
mais, dans les fers, loin d'un libre destin,
tous les bonbons ne sont que chicotin.
Couvert de honte, instruit par l'infortune,
ou, las de voir sa compagne importune,
l'oiseau contrit se reconnut enfin :
il oublia les dragons et le moine ;
et pleinement remis à l'unisson
avec nos sœurs, pour l'air et pour le ton,
il redevint plus dévot qu'un chanoine.
Quand on fut sûr de sa conversion,
le vieux divan désarmant sa vengeance,
de l'exilé borna la pénitence.
De son rapel, sans doute, l'heureux jour
va, pour ces lieux, être un jour d'allegresse ;
tous ses instans donnés à la tendresse,
seront filés par la main de l'amour.
Que dis-je ? Hélas ! ô plaisirs infideles !
ô vains attraits des délices mortelles !
Tous les dortoirs étoient jonchés de fleurs,
caffé parfait, chansons, course legere,
tumulte aimable, et liberté pléniére ;
tout exprimoit de charmantes ardeurs,
rien n'annonçoit de prochaines douleurs.
Mais de nos sœurs, ô largesse indiscrete !
Du sein des maux d'une longue diette,
passant trop-tôt dans des flots de douceurs,
bourré de sucre, et brûlé de liqueurs,
Ver-Vert, tombant sur un tas de dragées,
en noirs cyprès vit ses roses changées.
En vain, les sœurs tâchoient de retenir
son ame errante et son dernier soupir ;
ce doux excès hâtant sa destinée,
du tendre amour victime fortunée,
il expira dans le sein du plaisir.
On admiroit ses paroles dernieres.
Venus, enfin, lui fermant les paupieres,
dans l'elisée, et les sacrés bosquets,
le méne, au rang des héros perroquets,
près de celui dont l'amant de Corinne
a pleuré l'ombre, et chanté la doctrine.
Qui peut narrer combien l'illustre mort
fut regretté ! La sœur dépositaire
en composa la lettre circulaire,
d'où j'ai tiré l'histoire de son sort.
Pour le garder à la race future,
son portrait fut tiré d'après nature :
plus d'une main conduite par l'amour,
sçut lui donner une seconde vie
par les couleurs et par la broderie ;
et la douleur, travaillant à son tour,
peignit, broda des larmes à l'entour.
On lui rendit tous les honneurs funebres,
que l'Hélicon rend aux oiseaux célebres.
Au piéd d'un myrthe on plaça le tombeau,
qui couvre encor le Mausole nouveau ;
là, par la main des tendres Arthémises,
en lettres d'or, ces rimes furent mises
sur un porphire environné de fleurs :
en les lisant on sent naître ses pleurs.
novices, qui venez causer dans ces bocages
à l'insçû de nos graves sœurs,
un instant, s'il se peut, suspendez vos ramages ;
apprenez nos malheurs.
vous vous taisez : si c'est trop vous contraindre,
parlez ; mais parlez pour nous plaindre.
un mot vous instruira de nos tendres douleurs.
cy gist Ver-Vert, cy gissent tous les cœurs.
on dit pourtant (pour terminer ma glose
en peu de mots) que l'ombre de l'oiseau
ne loge plus dans le susdit tombeau ;
que son esprit dans les nones repose,
et, qu'en tout tems, par la métempsicose,
de sœurs en sœurs, l'immortel perroquet
transportera son ame et son caquet.