Parijs - 19e eeuw Armand Silvestre Bibliothèque perroquettique Silvestre # 01

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1881

Les farces de mon ami Jacques

 

Waarin onze verteller beschrijft hoe hij op zekere dag getuige was van een bijzonder begrafenisritueel op de dodenakker van Montmartre in Parijs. En hoe hij ontdekt dat een barones haar papegaai, een kaketoe, bijzet in het graf van een zekere Jaquot. Waarna door een toeval de erfgenamen van voornoemde Jaquot het door de barones vernieuwde grafschrift lezen. En de verwikkelingen die daaruit voortkwamen.  

Ci-gît Jaquot

 

Il y a quelques mois encore de cela, c'était sur une tombe du cimetière Montmartre, particulièrement désolée et abandonnée, que ces simples mots se lisaient à grand'peine, les rouilles de la mousse les dessinant, seules, en jaune sale, sur la pierre fendillée et noire. Un peu plus bas, dans un coin, et écrite de la même encre passée, ces autres mots étaient tracés en moindres caractères:

 

Concession à perpétuité.

 

Et quoi rien de plus? Pas un regret, pas un adieu, pas une vertu à ce triste défunt? Ni bon père, ni bon époux, ni bon oncle, ni bonne tante, rien rien rien? Aussi les mausolées voisins, tous pimpants et entourés de jardinets galants, regardaient-ils avec un singulier mépris le misérable monument perdu dans les hautes herbes et avaient-ils l'air de se dire entre eux: « Qu'est-ce qui nous a fichu un pareil voisin? » Vous savez, en effet, que lorsqu'on parcourt les inscriptions et épitaphes, répandues à profusion dans nos cités mortuaires, on est étonné de voir combien le monde est mieux composé qu'on ne le croirait au premier abord. C'est à se demander comment des huissiers et des procureurs ont pu trouver à vivre dans une société qui ne'comptait que des gens irréprochables ou même sublimes. Réjouissons-nous donc de mourir! C'est alors seulement, suivant toute vraisemblance, que nous commencerons à fréquenter la bonne compagnie.

Mais qu'avait donc fait ce Jaquot pour être seul déshérité de tout mérite au milieu de tant de morts estimables? Mon Dieu! rien du tout. C'avait même été un fort brave homme de son vivant, mais il avait eu le tort immense de ne laisser après lui que des neveux qui n'avaient pas trouvé son héritage aussi gros qu'ils l'espéraient et ces mauvais parents s'en étaient vengés en l'enterrant fort mal, et en le négligeant tout à fait après son enterrement. Encore regrettaient-ils amèrement d'avoir été obligés, par le testament, de lui offrir un gîte perpétuel et l'avaient-ils traité à cette occasion à la fois de prodigue et de crasseux, ce qui n'est pas le comble de la logique des adjectifs. Il y avait donc une vingtaine d'années qu'ils n'avaient fait la moindre visite à ce trépassé mélancolique, lequel dormait sous une forêt vierge de ronces que les araignées automnales tendaient

de fils d'argent et de rosaces diamantées par la rosée.

 

Or, il advint qu'un jour une vieille dame, cachant sous un châle un petit paquet fort bien ficelé, s'arrêta devant cette tombe délaissée et se tapota le front du doigt comme frappée d'une idée subite. Après avoir regardé si personne ne la voyait, elle s'agenouilla parmi les gazons échevelés et revécues, se mit à creuser sourdement sous la pierre avec un couteau, fit un trou profond et oblique dans la terre, puis, avec un énorme sanglot dans la poitrine, y enfouit son mystérieux colis. Après quoi elle se mit à prier pour de bon, levant au ciel des yeux inondés de larmes et marmottant d'inintelligibles paroles à Celui qui comprend toutes les langues... y compris celle des perroquets.

Car le nouveau mort que la vieille baronne de Castel-Mouillé venait de réunir au solitaire Jaquot, c'était - j'aime autant vous le dire tout de suite – son kakatoès favori, trépassé de male mort, il y avait déjà plus d'une semaine, pour avoir avalé une noisette dans laquelle un farceur avait remplacé l'amande par je ne sais plus vraiment quoi. En voilà un dont Mme de Castel-Mouillé aurait mangé le cœur avec une joie sauvage, si elle l'avait connu! Car ce lui fut une peine épouvantable que la mort de ce bel oiseau qui assourdissait les voisins, pinçait les bonnes au sang, faisait ses excréments dans la soupière et était enfin un des plus aimables échantillons de sa race.

Elle avait d'abord médité de le faire empailler, mais ses hésitations à se séparer de cette chère dépouille avaient, au bout de trois jours, rendu l'opération impossible. Aucun naturaliste n'avait été assez enchiffrené pour l'accepter. Quelque temps encore et la pauvre dame fut contrainte de s'avouer à elle-même que son cher perroquet ne sentait plus bon. Ce fut alors que, le désespoir dans l'âme, elle l'enveloppa dans son plus beau mouchoir de batiste, le coucha dans sa plus élégante boite à gants et l'emporta pour le déposer en terre sainte. En parcourant le cimetière Montmartre, elle découvrit la tombe abandonnée de Jaquot, lut ces mots dessus: Concession à perpétuité, en conclut que son mort ne serait jamais dérangé là et qu'il y ferait un bon somme. Vous savez le reste maintenant.

 

Dès le lendemain Mme de Castel-Mouillé présida, elle-même, à la toilette du monument qu'elle devait à la munificence des héritiers Jaquot. Elle amena des jardiniers qui dessinèrent un parterre, tout autour, sur la terre déblayée. Elle eut grand soin qu'on n'y laissât pas un seul brin de persil, mais y fit planter des roses, des géraniums et des bruyères en massifs ingénieux et symboliques. La pierre du mausolée fut soigneusement grattée et devint resplendissante comme un marbre, dans les cafés biens tenus. Puis la baronne revint tous les jours suivants, à la même heure, passer des heures entières à se souvenir!

Bientôt feu Jaquot, qu'elle n'avait pourtant jamais connu, mais dont elle lisait le nom sans cesse, s'identifia pour elle avec les mânes de son kakatoès. Il lui sembla que ces deux morts ne faisaient qu'un: une vraie paire d'inséparables. Si bien qu'elle en vint à trouver absolument inconvenant pour son oiseau le silence de cette tombe sans épigraphe. Elle manda le marbrier, et tous deux rédigèrent ensemble une inscription qui fut immédiatement tracée au-dessous du nom de Jaquot, et que voici dans son affectueuse simplicité:

 

IL CHANTA, IL AIMA, IL PASSA, ET SERA ÉTERNELLEMENT PLEURÉ

 

Au-dessous, des virgules simulaient des larmes dans le granit, et un joli petit sablier était traversé par deux faux, ce qui devait bien y gêner le passage du sable. Enfin, plus bas encore et en pendant à la mention Concession à perpétuité, ces deux vers de Malherbe:

 

Il était de ce monde où les plus belles choses

Ont le pire destin.

Or, il advint que les neveux du vrai Jaquot furent amenés au cimetière par l'enterrement d'un ami. Ces gens sans cœur, qui méditaient déjà un excellent dîner chez le père Lathuille, pensèrent qu'un bout de promenade, entre l'enterrement et le repas, les mettrait en appétit. Aussi commencèrent-ils à parcourir les allées funèbres en s'arrêtant devant les tombes illustres pour faire un tas de réflexions déplacées, comme d'insipides bourgeois qu'ils étaient. L'une des demoiselles Jaquot-Mitounard demanda fort sérieusement si le Cavaignac qui était couché là dans son manteau de bronze était celui qui avait assassiné Henri IV au château de Blois.

Son frère Honoré Jaquot-Mitounard la reprit en lui faisant observer que c'était sur le Pont-Neuf, en marchandant des lorgnettes et presque au pied de sa statue que le roi Poule-au-Pot avait été frappé. La sœur cadette se préoccupa beaucoup de savoir si le David qui avait sculpté je ne sais plus quelle statue était le même qui avait écrit les Psaumes, composé le Désert, peint l’Enlèvement des Sabines et chanté les basses profondes à l'Opéra! – Ah! le joli tas de cancres que ces héritiers Jaquot! Vous ne pouvez pas vous imaginer combien je les déteste.

- Tiens! si nous allions voir l'oncle s'écria Pancrace Jaquot-Laveyssière. Il me semble que sa botte est par là.

- Au fait! répondirent en chœur les autres, nous pourrons y faire de l'herbe pour nos lapins.

Cette plaisanterie sacrilège eut un succès scandaleux, et c'est avec des propos semblables que ces neveux sans entrailles (quelle chance à l'époque des melons!) s'avancèrent vers le monument où dormait leur bienfaiteur en société d'un vieux perroquet.

 

- Ah! mon Dieu!

Ainsi dirent-ils (toujours en choeur), en apercevant la tombe coquettement parée et posée dans un nid de verdure.

Et ils répétaient, comme des idiots:

- Jaquot! Jaquot! c'est pourtant bien ça!

Ce fut bien autre chose encore quand ils commencèrent à lire l'inscription due aux soins de Mme de Castel-Mouillé.

- Il chanta!

- Si on peut dire L'oncle avait la voix plus fausse qu'une seringue!

- Il aima!

Ah! le gredin! Eh bien il était joli pour faire le débauché !

– Il passa!

C'est bien ce qu'il a fait de mieux.

- Il sera éternellement pleuré!

Ça, par exemple, des mouchettes!

Et de leurs poitrines méchantes s'exhala, dans un formidable tutti, cette proposition malveillante et calomniatrice:

- Ce n'est pas étonnant que ce pingre nous ait si peu laissé; il avait une maîtresse! C'est elle qui pare chaque jour son tombeau.

Et, comme de vilaines brutes, ils se mirent à couper les fleurs avec rage, à saccager le jardinet, à faire un tas de polissonneries sur la pierre. Ils en étaient là de leur fureur iconoclaste quand Mme la baronne, qui marchait silencieusement et les yeux baissés, dans l'attitude du recueillement, apparut brusquement au tournant de l'allée.

- Malheureux! s'écria-t-elle en accourant.

Un ricanement infernal lui répondit.

– C'est elle! C'est sa maîtresse! clamèrent les goujats.

Et le chef de la dynastie des Jaquot-Laveyssière, qui était un Prudhomme de valeur, lui jeta ce seul mot avec mépris:

- Hétaïre!

Puis ces gens sortirent avec un grand air de dignité froissée, se reculant avec affectation de la pauvre femme qui réparait leur dommage en pleurant, et Mlle Désirée Jaquot-Mitouflard dit en passant la porte de la nécropole

- C'est effrayant maintenant les gens qu'on est exposé à rencontrer dans les cimetières! C'est à renoncer à se faire enterrer.

- Et elle avait bien raison, ajouta Jacques en terminant ce récit.