Parijs - 19e eeuw Armand Silvestre Bibliothèque perroquettique Silvestre # 11

CuBra

HOME

BIBLIOTHEQUE

  Waarin we kennismaken met de lieftallige en altoos hulpvaardige marquise de Birettes en de ondankbare lomperik die haar echtgenoot is. En hoe de papegaai Gustave eraan bijdraagt dat de lompe echtgenoot op zijn culinaire wenken bediend wordt.  

1894

Fantaisies galantes

 

Le malaisé

 

 

1

Le château des Birettes - on l'appelait encore ainsi dans le pays - était sis sur un escarpement dont le pied baignait en pleine Creuse, dans ce merveilleux paysage que George Sand a souvent décrit, en quelques lignes, comme les maîtres font un tableau en quelques coups de pinceau. Un tapis de gazons sauvages, où le printemps piquait des anémones et des crocus, descendait, de ses assises, interrompu par de petites roches bleues, hérissé de bouleaux aux tiges d'argent, jusqu'au cours nacré de la rivière coupée aussi de pierres luisantes et plates où les vipères aimaient dormir au soleil. A l'horizon, sur des couchants rouges ou roses, suivant la saison, les ruines imposantes de Crozant , se profilant avec d'héroïques silhouettes où les teintes de cuivre, en automne, faisaient passer comme un muet appel de cor. Au bord de Feau, çà et là, des rideaux de saulaie sous lesquels les truites se détendaient comme des arcs, faisant passer un métallique frisson à travers le réseau des verdures tendres. Un coin de nature, en un mot, fait pour les modernes idylles où se complaisent encore les poètes d'aujourd'hui, en souvenir du mélodieux Virgile que nos pères connaissaient encore, que nos petits-neveux ne connaîtront plus. Eh bien! tant pis pour ces savants cancres! Moi qui ai mordu aussi, et d'une dent avide, au fruit des géométries supérieures et des propositions divines, je donnerais toutes leurs découvertes pour un vers des Bucoliques!

Ce n'était pas par ironie, mais par habitude, que l'ancien manoir des Birettes s'appelait encore un château, bien qu'il fût uniquement constitué, pour le présent, d'une maison en assez mauvais état, d'aspect exclusivement bourgeois, n'évoquant rien, en vérité, de féodal ni de chevaleresque, une habitation ne respirant qu'une aisance médiocre et portant ces traces d'abandon que la noblesse a laissées partout derrière soi, quand la richesse s'est retirée d'elle. En mai, cependant, c'était une charmante demeure quand les vignes vierges, les clématites, les aristoloches, les pois de senteur, les volubilis, toutes plantes au cœur plein de pitié pour les vieilles murailles, pendaient à celles-ci leur décor de fleurs et de feuillages, atteignant, de leurs branches folles, jusqu'au faîte où des frissons d'ailes sortaient de dessous les tuiles usées. Tout autour aussi un parterre bien soigné avec des massifs de roses de toutes les espèces, accusant une main experte aux travaux horticoles et l'amour des choses de la nature. Au pied des belles variétés, des massifs plus bas de ces jolies roses du Bengale qui commencent, les premières et s'obstinent à s'ouvrir encore même sous les premières gelées, portant au coeur les diamants en givre après les premières perles de la rosée.

C'est qu'une véritable fée habitait cet idyllique et quelque peu délabré séjour, - la petite marquise des Birettes, qui n'avait pas apporté à son mari un sou vaillant, mais un trésor de beauté et de jeunesse dont tout autre se fut montré plus fier et plus heureux que de la fortune d'un roi. Châtaine de cheveux, mais plutôt brune, avec des yeux bien transparents comme des pierreries, un teint mat et un aristocratique profil, une taille belle et élancée, une démarche de bonne reine allant porter l'aumône à ses sujets; mais, par-dessus tout, un sourire d'une grâce infinie, une gaieté toujours souriante dans le regard. Elle supportait la demi-pauvreté qui était son lot avec une résignation charmante, adorant les fleurs et les bêtes, ayant pour compagnons ordinaires une biche apprivoisée qui la suivait partout, Mignonne, et un perroquet nommé Gustave, qui ne quittait guère son épaule et jacassait continuellement à son oreille comme un endiablé. Mais d'autres animaux familiers encore composaient son agreste cour: de petites poules blanches empanachées comme de petits chiens havanais et de petits coqs qui semblent vêtus de pierres précieuses. A tout ce petit monde, le perroquet Gustave, un érudit dans son espèce, parlait sur le ton du commandement. C'était, à vrai dire, le favori de la marquise et aussi sa grande consolation.

Consolation! Morbleu! qui se permettait donc de contrister une aussi aimable personne? Parbleu! son mari, le marquis des Birettes, un gentilhomme grognon et qui n'était jamais content de rien.

 

II

Mon Dieu! je veux bien que le temps présent ne soit pas exquis pour les gentilshommes. Les titres ont perdu leur poids dans notre société démocratique et le populaire se fiche absolument de ce que leurs aïeux ont pu faire aux croisades. Tous les privilèges sont abolis. Le plus charmant de tous, le droit de jambage , n'est plus exercé que par les bonnetiers enrichis qui ne se gênent pas beaucoup avec les pauvres filles du peuple. Au moins les seigneurs leur faisaient-ils, par avance d'hoiries conjugales, de robustes enfants, de bons bâtards qui devenaient des Dunois. Tandis que les bonnetiers enrichis encombrent le petit monde de méchants avortons dont pas un ne serait capable d'accompagner Jeanne d'Arc à Rouen. Mais ce n'est pas une raison pour bouder l'univers, comme le faisait ce marquis Gaëtan des Birettes dont toutes les rancunes sociales pesaient sur la pauvre femme qui était cependant de même souche originelle que lui.

Et cependant, se donnait-elle un mal, l'angélique créature, pour lui complaire en toutes choses, deviner ses moindres désirs, obtenir de lui un remerciement ou un mot gracieux seulement qui ne venait jamais! Comme on n'avait qu'un méchant galopin pour faire les gros ouvrages, soigner les animaux et tenir en état le jardin, c'était la marquise qui, de ses jolies mains effilées et blanches, faisait tout le reste, qui préparait les repas, qui entretenait les meubles en état, qui présidait à tous les soins domestiques, non pour commander, mais pour exécuter en personne. Et tout cela avec une bonne humeur! Toujours une chanson sur les lèvres, quand elle était seule; toujours un sourire, quand il était là.

Et lui qui, pendant ce temps-là, passait toutes ses journées à la chasse dans un pays où il avait détruit le gibier depuis longtemps, et qui revenait bredouille, jurant, sacrant, battant son unique chien, n'éprouvait, de ce long et touchant dévouement, aucune reconnaissance. Jamais il ne trouvait rien de bien dans ce qu'avait fait sa femme pendant son absence. Vous croyez peut-être que celle-ci se rebutait? Non! Elle redoublait d'efforts. C'est une rude force que de savoir être constamment désagréable. Tenez, quand j'avais vingt ans, je remarquais dans une pension d'artistes, dont j'ai parlé quelquefois ici même, ce buffet germanique devenu buffet alsacien depuis la guerre, où mes commensaux étaient Gustave Doré, Feyen-Perrin, Français Delaplanche, quelquefois Courbet, souvent Pierre Dupont, toujours Harpignies, Jules Breton, Dalou, que sais-je encore? Tous sont glorieux ou morts aujourd'hui. Je suis, au point de vue de la renommée, le culot de cette couvée. Eh bien, il y avait parmi nous un gaillard qui n'était rien du tout en art, mais qui était horriblement difficile sur sa nourriture que d'ailleurs, seul d'entre nous, il ne payait jamais. C'était le seul que notre hôtesse, une amie pour tous, une bonne et intelligente fille, se préoccupât de contenter. Il nous allait bien à nous d'insinuer timidement que le poulet était trop cuit et le rosbif pas assez! Nous étions rembarrés de la belle façon. Mais que le grincheux qui ne payait jamais daignât un jour agréer un miroton, c'était une joie et des élans de reconnaissance. En attendant, on lui recommençait tous les plats qui ne lui plaisaient pas, en lui faisant des excuses jusqu'à terre. Ineffable pouvoir de la mauvaise humeur élevée à la hauteur d'une institution.

Ce que notre marquis Gaëtan des Birettes jouait bien de cette musique-là avec la pauvre petite marquise, mignonne cependant comme une colombe du bon Dieu!

 

III

Ce matin-là, néanmoins, elle avait juré de vaincre cette obstination à tout trouver mauvais. D'abord, comme le temps était superbe, elle avait mis le couvert en plein air, sous une tonnelle naturelle que faisaient les clématites en s'enchevêtrant autour de la maison, une tonnelle où le soleil faisait passer de petites flèches d'or piquant une étoile sur les feuilles. Puis elle avait acheté, au marché de la Souterraine, où elle avait été sournoisement la veille,- oh! la grande course pour ses mignons petits pieds! - un perdreau rouge de la plus tentante physionomie. Enfin elle avait pêché elle-même, dans la Creuse, une truite superbe immédiatement jetée dans un court-bouillon savoureux. Au fond de la cave, elle avait découvert une bouteille que les araignées avaient vêtue d'une véritable chemise. Comme entrée, une omelette aux potielles, un délicieux champignon du Berry.

Pour le moment, elle était en train d'étendre la nappe sur la table, une nappe toute blanche et qui fleurait l'iris, au sortir de la grande armoire de noyer. Bien également, elle l'avait tirée aux quatre coins et avait aplani de la paume de la main tous les plis qui se formaient au-dessus. Comme elle se baissait pour jeter un coup d'œil à hauteur sur son ouvrage, le perroquet Gustave sauta de son épaule sur la table. Et voyez ce malotru ou ce farceur d'oiseau (le perroquet est un fumiste dans son espèce)! Vlan! Il vous lâcha une belle crotte au beau milieu de la nappe. La pauvre marquise en eut les larmes aux yeux. Mais comme elle était l'indulgence même, elle remit l'oiseau sur son épaule sans avoir le courage de le gronder. Comment faire cependant? Elle avisa une énorme et large feuille d'aristoloche, la coupa et la porta à l'endroit contaminé, de manière à cacher le dégât. Ce serait une façon de dessous de plat rustique, qu'elle aurait eu l'air de mettre tout exprès pour y poser successivement les mets.

Comme à l'ordinaire, le marquis rentra bredouille et bourru. Elle s'en fut gracieusement à lui, sans se désespérer, et lui dit, en l'embrassant un peu malgré lui:

- Mon ami, je crois vous avoir fait enfin un déjeuner à votre goût.

- J'en doute répondit grossièrement le malotru.

Alors elle lui énuméra joyeusement, radieusement, tous les plats qui composaient le menu.

- Belle cochonnerie fit-il en haussant les épaules.

- Mais enfin, qu'auriez-vous voulu? s'écria-t-elle dans un sanglot.

Le rustre, tout en riant méchamment de sa détresse, lui répondit:

- Du caca!

- Ah! mon mignon! en voilà justement! fit-elle en soulevant la feuille d'aristoloche.

Et Gustave, qui était toujours perché sur son épaule, ajouta de sa voix la plus gracieuse:

- Monsieur le marquis est servi!

Crozant -- George Sand visita le site de Crozant en compagnie de Chopin, à l'issue d'un périple difficile dans des routes qui n'en étaient pas. Les ruines lui firent une forte impression, comme en témoigne ce qu'elle écrivit dans La péché de Monsieur Antoine : (...) Après une heure de marche, toujours perdu dans ses pensées, il vit le sentier se resserrer, s’enfoncer dans des buissons, puis disparaître sous ses pieds. Il leva les yeux, et vit devant lui, au-delà de précipices et de ravins profonds, les ruines de Crozant s’élever en flèche aiguë sur des cimes étrangement déchiquetées, et parsemées sur un espace qu’on peut à peine embrasser d’un seul coup d’œil.