Parijs - 19e eeuw Armand Silvestre Bibliothèque perroquettique Silvestre # 14

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  Waarin de papegaai Pistache door jonggehuwden op huwelijksreis wordt gekocht van de eigenaar van een stationsrestauratie, en hoe het spoorwegvocabulair van Pistache enige ongemakken veroorzaakt.  

1895

Nouvelles gaudrioles

Pistache

I

En une cage trop étroite, ridicule, comparable à celle où La Balue expia l'amitié de Louis le onzième, ayant à peine la place de s'ébrouer, sans piscine où baigner le bout de ses ailes, c'était un perroquet vraiment mélancolique que celui qui attira la pitié de Gaston des Andives et de Berthe, sa femme, tandis qu'ils prenaient un chocolat détestable à la gare de Montbéliou. Ce volatile infortuné appartenait, en effet, au gargotier concessionnaire du buffet de cette station. Gaston des Andives et Berthe sa femme étaient des âmes compatissantes et amoureuses. Le jeune ménage effectuait, à travers la France, son voyage de noces et aimait à répandre les bienfaits sur son chemin. Ils adopteraient cette bête malheureuse et l'installeraient, à Paris, dans leur joli appartement de la rue Saint-Florentin. Ils lui apprendraient la musique divine des baisers et des paroles douces, en attendant l'enfant qui leur bégayerait ses caresses. Ils demandèrent à l'infâme chocolatier combien il voudrait de sa victime. Inutile de dire que le bourreau investi de la confiance de la Compagnie leur jura qu'il ne s'en séparerait à aucun prix, que c'était un perroquet de famille à qui il était extraordinairement attaché. Tout cela était pour en avoir davantage, de jeunes époux heureux ne marchandent pas. Il en obtint un prix grotesquement élevé. Mais Berthe était si contente! Le prisonnier, à qui un véritable palais fut promis sur l'heure, fut emporté dans le wagon, au moment où celui-ci s'ébranlait déjà. On le baptisa tout de suite. Comme ce qui restait de son plumage sale et mal tenu était sensiblement vert, on l'appela Pistache. Puis on lui offrit des gâteaux. Mais comme ils venaient du buffet et qu'il les avait vu sucrer avec de la poussière, il se garda bien d'en manger.

Il semblait cependant qu'il eût l'intuition de l'existence plus heureuse qui s'ouvrait devant son bec recourbé. Car il se secoua presque joyeusement et commença de parler de sa voix de crécelle, mais que ses patrons jugèrent plus harmonieuse que celle même du rossignol. Tout naturellement son bagage littéraire, qu'il serait inconvenant de comparer à celui de M. Brunetière *, habillé cependant de la même couleur que lui (l'habit ne fait pas John Lemoinne*), se composait tout naturellement du vocabulaire des gares, cris d'employés, propos de garçons, bruits de machines, tout ce qu'il était accoutumé d'entendre. Il imitait, à s'y méprendre, le gémissement des essieux au départ et le grincement des freins à l'arrivée. Ses nouveaux maîtres étaient dans l'enchantement. Avec un animal pareil, on n'aurait plus besoin de voyager pour avoir toutes les illusions du voyage. C'est une formidable économie qu'ils venaient de faire là.

Cependant le train, qui marchait vers l'occident, s'enfonçait dans les poussières rouges du couchant; une grande mélancolie descendait en ombres violettes sur le double chemin qui fuyait aux portières, les arbres ayant l'air de courir en sens inverse de la marche des wagons et les villages s'enfonçant dans une brume dorée où tintaient les derniers angélus du soir. Dans les eaux courantes qui coulaient en bas, les premières étoiles semèrent çà et là une goutte d'or tremblante, et sur les nappes des étangs la lune esquissait un fromage, destiné, sans doute, au repas frugal des farfadets qui, comme les libellules, voltigent sur l'eau avec de petites ailes transparentes et bleues. Les autres voyageurs du compartiment, y compris Gaston des Andives et Berthe sa femme, se préparèrent au sommeil plein de courbatures que comportent les nuits en chemin de fer. Pistache, seul, n'avait pas sommeil. On eut beau couvrir sa cage d'un plaid pour lui donner l'impression d'une ombre plus épaisse encore, il continua de s'agiter, si bien que les pauvres gens honorés de sa compagnie n'étaient pas assoupis depuis cinq minutes qu'ils étaient réveillés par un formidable - Messieurs, vos billets!

Mais en vain cherchaient-ils la casquette toujours vissée à la tête de l’employé à la portière. C'était Pistache qui répétait une des innombrables phrases qu'il avait entendues tous les jours. Un vieux militaire très bourru qui roupillait dans un des coins ne parla de rien moins que de lui tordre le cou. A cette proposition, Berthe faillit se trouver mal sur l'épaule de son mari. L'amoureuse sérénité de leur retour fut considérablemeat troublée par la présence de Pistache dans le wagon.

II

A Paris, on lui donna une quasi-liberté dans le joli appartement de la rue Saint-Florentin. Il voletait de chambre en chambre, marquant son chemin, comme le Petit Poucet, de pain, mais de pain digéré déjà. Il mouchetait les meubles de flocons de neige, non pas de la ‘neige odorante du printemps’, comme dit Victor Hugo. Il était devenu un véritable tyran dans la maison. Mais ses maîtres ne l'en aimaient que davantage. Ne leur rappelait-il pas une bonne action! Et puis, les êtres que nous adorons surtout sont ceux pour qui nous avons le plus souffert. Son dictionnaire ne changeait pas d'ailleurs. Vainement cherchait-on à lui apprendre des phrases nouvelles. Rien que des propos de gare, y compris les jurons des commissionnaires quand ils roulent des brouettes trop lourdes où nos malheureux colis sont massacrés. C'était charmant.

Le baron Gaston des Andives était quelque peu poète. Il faisait d'aimables à-propos, et c'était à la suite d'une représentation mondaine où il avait été fort applaudi que Berthe s'était éprise de lui. Un délicieux petit cabotin, d'ailleurs plus inoffensif que ceux de M. Pailleron lui-même. IL n'avait aucune prétention que plaire aux dames et cette prétention lui avait réussi. Car je ne vous cacherai pas plus longtemps que la jeune madame des Andives était de tous points délicieuse, blanche, dodue, de belle prestance sans majesté désordonnée, avec un visage riant qu'encadrait une belle chevelure châtaine aux tons changeants, douée de tous les reliefs qui font le supplice des manchots, appétissante et telle qu'on peut souhaiter l'épouse des cocus qu'on fait pour fleurir les routes arides de la vie. Elle flattait la manie de son mari et cultivait la comédie de salon. Une des premières soirées de l'hiver qui suivit de près l'entrée de Pistache dans la maison car c'est en automne que cet animal avait fait connaissance de ses bienfaiteurs fut consacrée aux muses légères que cultivait Gaston. On devait jouer chez lui la première revue de l'année. Il en avait composé les couplets, et Berthe, en commère, devait, tout naturellement, dire les plus jolis.

C'est un étincellement de bougies dans les salons de la rue Saint-Florentin. On dirait qu'une constellation s'est prise aux vitres comme dans un filet à papillons. Les voitures se succèdent lourdement sous la porte cochère et des dames emmitouflées de fourrures bénéolentes en descendent, dans un frisson de soie d'où émerge un pied mutinement chaussé. Puis, dans la salle de spectacle improvisée, ce sont les cancans de coulisse, un bourdonnement qu'interrompent seulement les trois coups fatidiques frappés derrière un joli rideau de soie aux franges d'or. Le prologue a un succès fou. Le premier défilé des petites femmes est déclaré un pur chef-d'œuvre. Berthe commence son rondeau. Elle l'achève dans une tempête de bravos que coupent brusquement des coups de sifflet. C'était Pistache qui, perché sur une glace, sifflait l'alarme comme les locomotives en détresse. Mais on ne le vit pas tout d'abord. Gaston, qui s'était rué du trou du

souffleur pour chercher l'impertinent, crut le reconnaître dans un commandant de dragons qui avait fait inutilement la cour à sa femme. Il alla lui donner deux soufilets et en reçut, le lendemain, deux coups d'épée.

Il fut décidé, ce jour-là, que Pistache n'irait plus dans le monde.

III

Mais on n'en fait que plus douce pour lui la joie de l'intimité. Ce jour-là, Monsieur et Madame se sont levés tard et ont déjeune dans leur chambre: un véritable déjeuner d'amoureux. Des primeurs inachevées et des fruits ouverts errent sur la table non desservie. Berthe a roulé une causeuse jusqu'au coin du feu et s'y est frileusement blottie dans son élégant peignoir, plus délicieuse à regarder que jamais dans ce demi-abandon de toutes ses grâces coutumières. Des nonchalances exquises, faites, sans doute, de fatigues délicieuses aussi, la font pareille à une pivoine jetée sur des coussins, une pivoine rose aux pétales frissonnants. C'est un délicieux poème de chair tiède et parfumée qu'on devine, qu'on pressent sous les longs plis qui la sculptent, par places, l'enveloppant seulement, à d'autres, comme une vapeur. Et, sa belle tête renversée dans le tumulte fauve de ses cheveux, elle laisse passer l'éclair nacré de ses dents entre ses lèvres entr'ouvertes.

Et Gaston la regarde, la contemple en une extase très douce.

Ses regards descendent du front de son amie, tout baigné d'ombres ambrées, et d'où sa crinière jaillit comme un fleuve d'or sombre, à ses yeux demi-fermés qui ne laissent passer entre les cils qu'une fumée bleue comme celle des encens, à son nez dont les narines frémissent comme les ailes d'un papillon dans les lumières roses du couchant, à sa bouche où la dernière flèche de sang du soleil semble s'être posée, à son menton que ponctue une fossette circonflexe comme l'aile d'une minuscule hirondelle bleue, à son cou dont l'épiderme de soie se dore, aux rondeurs divines de la nuque, au beau lac d'argent lunaire où le souffle invisible soulève les deux vagues de sa poitrine, à l'arrondissement voluptueux de son ventre reposé, toujours s'abaissant après s'être complu dans cette énumération de grâces infinies.

Il en était là du cher voyage de ses yeux, quand tous deux furent secoués, en sursaut, de leur adorable rêverie:

- Dix minutes d'arrêt! Buffet!... hurlait cet imbécile de Pistache, en dodelinant joyeusement de sa tête remplumée, narquois et les pattes accrochées aux plis épais des rideaux.