Parijs - 19e eeuw Armand Silvestre Bibliothèque perroquettique Silvestre # 16

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  Waarin de schrijver ons de omstandigheden schildert waaronder het kon gebeuren dat de knappe Ali tijdens de Grandes Manoeuvres verandert van een soldaat in een papegaai, echter niet dan nadat hij gedurende de nacht voorafgaand aan deze metamorfose heeft doorgebracht in het uniform van Venus en de armen van de schone Marie-Anne.  

1896

Récits de belle humeur

Le perroquet (2)

I

Une matinée d'automne en plein Morvan avec de belles nappes de rouille sur les bois, des verdures sombres encore dans lés frondaisons moins hautes, des chapelets de mûres s'égrenant dans les haies parmi les dernières églantines semblant des papillons roses; une matinée radieuse où la suprême coquetterie des choses préparait la mélancolie prochaine des déclins, le vol des corneilles montant, avec un bruit joyeux, circonflexe, dans le ciel, et les cloches tintant gaiement l'Angélus dans les clochers qui semblaient se répondre. A ces musiques vagues faites du caprice des brises dans la feuillée, du murmure des sources dans les gazons, du bruissement des insectes sous les brins d'herbe, se mêla, très éloignée encore, une symphonie guerrière, une rumeur de trompettes et de tambours évoquant, par avance, sous les yeux encore lourds de sommeil, les plis héroïques du drapeau. C'était au temps des grandes manœuvres, et c'était quelque corps destiné, pour le jour même, ou à la défaite ou à la victoire, qui allait prendre position.

Le meunier Bourachon, qui s'habillait d'assez mauvaise humeur, dit à sa femme Marie-Anne:

– Pourvu que ces animaux ne viennent pas loger ici ce soir!

Mais sa femme Marie-Anne, qui était patriote et aimait les soldats, lui reprocha son peu d'empressement à héberger ses défenseurs. Elle serait enchantée, elle, au contraire, de dorloter un peu ces pauvres grands gars qui auraient passé tout le jour, sac au dos, en se tirant, les uns aux autres, des coups de feu imaginaires.

– Si je le croyais, ajouta le meunier plus sombre encore, je ne partirais pas!

Mais sa femme Marie-Anne, qui était une excellente ménagère, lui demanda s'il était fou. Oubliait-il que c'était le lendemain qu'avait lieu le marché au blé le plus considérable de la saison, et qu'il trahirait le souci auguste de ses propres affaires en ne s'y rendant pas? Bourachon, en bon paysan, était plus avare encore que jaloux. Il descendit en grommelant, attela sa jument blanche ChŽrie, ploya sous lui sa limousine pour la nuit, embrassa sa femme, et, comme il lui fallait exercer son mécontentement de quoique façon, commença de rosser ChŽrie en continuant d'ailleurs à lui donner les noms les plus doux.

Faisant courir derrière lui, et dans le sillon de ses roues, de petits nuages blancs sur la route poudreuse, il disparut dans l'incendie auroral, la jument, déjà fumante, ayant des aigrettes roses aux oreilles, cependant que sa femme Marie-Anne constatait, avec une joie malicieuse, que le bruit des tambours et des trompettes se rapprochait, cependant que le canon bourdonnait déjà, au loin, pour la mensongère bataille dont le champ était décidément voisin. Et le soleil montait dans cette fanfare, tel un antique guerrier sur son char d'or, secouant à l'horizon une nuée de flèches enflammées.

II

Or, c’était au temps où la camp d'Avor, voisin de Bourges à l'immortelle cathédrale, jouait un rôle dans la vie militaire, rôle qu'a supprimé l'institution de l'École de Saint-Maixent, aujour- d'hui, comme Saint-Gyr, pépinière d'officiers. Une sélection de sous-officiers candidats à l’épaulette, appartenant d'ailleurs à tous les corps d'infanterie, y venaient faire leur apprentissage et préparer leurs examens, constituant un petit sous-état-major bariolé: lignards à la culotte rouge, turcos vêtus de bleu, zouaves aux culottes flottantes, marsouins au sombre uniforme, sans oublier la légion étrangère qui y avait aussi ses représentants, tous jeunes et très joyeux, avec des rêves de gloire plein la cervelle. Quand les études théoriques avaient pris fin, on les envoyait prendre part aux grandes manœuvres du VIIIe corps, toujours réunis et dissemblables dans leur tenue multicolore. Le sergent-major de turcos - un bon Montmartrois, d'ailleurs, qui s'était engagé, Philippe de son vrai nom, Ali par sobriquet de régiment, - était assurément, cette année-là, un des plus beaux hommes de cette minuscule armée, aimant à rire avec cela et trouvant volontiers les femmes à sa naturelle convenance, pourvu qu'elles fussent jolies et douées de quelque enjouement. Car il n'était pas pour les mélancoliques tendresses, sans préjugés d’ailleurs à l’endroit des conjugales vertus, fort pernicieux, conséquemment, à la tranquillité des ménages. Et ils étaient pas mal comme ça dans le bataillon, à commencer par le chef qui le commandait, le vicomte Leroy des Baudrilles, qui avait été un fier trousseur de jupes en son temps et en avait gardé, en même temps qu'un peu d'habitude, une grande mansuétude à l'endroit de cet aimable péché. Bonne doctrine, au demeurant, dans un pays où justement on s'inquiète de la dépopulation dans les campagnes. On y ferait durer les grandes manœuvres toute l'année, que le nombre des citoyens en profiterait certainement.

III

Vous voyez que cet animal de Bourachon n'avait pas si grand tort de partir inquiet; d'autant que la Fatalité l'avait certainement guigné de son œil torve, ce matin-là, mêlant son obscur et méchant regard au lumineux rayonnement du soleil. Car un détachement vint loger dans le village, chez l'habitant, bien entendu, composé des sous-officiers élèves d'Avor, et ce fut le bel Ali qui fut désigné pour aller passer la nuit au moulin, sous le même toit que madame Bourachon; justement veuve cette nuit-là. J'ai dit que le sergent-major était entreprenant, et que la belle Marie-Anne – car elle était fort agréable, la femme du meunier, Berriehonne de Sancoins, où les filles sont belles, châtaine avec des reflets fauves dans les cheveux, blanche avec des piqûres d'or dans la peau mate, de belle structure harmonieuse, avec de jolies mains d'un dessin pur – aimait, d'un sentiment patriotique et sensuel à la fois, les militaires. Ce que l'honneur de Bourachon devait peser peu dans une balance où de telles inclinations se faisaient contrepoids, je vous le laissa à penser. Il n'en fut non plus question que d'un fétu dans une riche moisson, ou d'un pépin dans une grasse vendange, moisson de baisers à l'ombre adultère des rideaux aux fleurs pâlies, vendange de caresses pendant la chanson de la roue qui continuait à battre rythmiquement l'eau de ses larges ailes. Mais, quel homme... non pas que cet Ali, mais que ce Bourachon! Décidément, très embêté de savoir sa femme seule pendant la cessation des hostilités dans le pays, ne s'avisa-t-il pas de donner la commission de ses propres achats à un ami sûr, meunier comme lui, mais ne travaillant plus pour son compte, qu'il avait rencontré à dîner au cabaret, et de regagner au galop son moulin où il était si peu attendu! A cette occasion, comme le meunier était aussi impatient, au moins, que jaloux, ChŽrie reçut encore une belle floppée de coups de fouet et de noms affectueux. Madame Bourachon eut une fameuse peur quand elle l'entendit rentrer. Ali, lui qui, brave comme un lion dans la mêlée guerrière, avait, dans la vie civile, des frousses d'enfant, comme de vrais héros y sont quelquefois sujets, bondit, comme un fou, du lit, sauta, comme un singe, par la fenêtre et se sauva tout nu, laissant tout son équipement, armes et vêtements, sur les positions amoureuses conquises et subitement abandonnées.

IV

La diane sonnait gaiement dans l'aube, necrue du cocorico de tous les coqs secouant, dans la lumière, leurs ailes empalées. Puis, ce fut le rassemblement. Quand Ali comparut, in naturalibus (c'est maintenant que le latin va pouvoir braver l'honnêteté, puisque personne ne le comprendra plus), au milieu de ses camarades, ce fut un éclat de fou rire, puis un élan de pitié et de bonne camaraderie. Presque tous avaient des effets de rechange. Un zouave lui prêta son turban, un marsouin son pantalon bleu sombre, un sous-officier de la légion étrangère sa veste soutachée, si bien que, dans ce disparate accoutrement aux couleurs hurlantes les unes contre les autres, il était absolument méconnaissable et ridicule, si bien que le commandant Leroy des Baudrilles s'écria, on l'apercevant dans les rangs: – Tiens un perroquet!

Quand l'histoire lui fut contée, à lui-même, le bon officier s'en amusa si fort qu'il négligea de coller à Ali la moindre punition. Comme la bataille devait finir ce jour-là et qu'il appartenait à l'armée victorieuse par destination, il dit au sergent-major: « Ma foi! tu diras que tu as pris la chose au sérieux et que c'est du butin pris sur l'ennemi. » Ce qui était d'ailleurs rendu vraisemblable par ce fait que l'armée ennemie était absolument composée des mêmes corps que l'autre et pareillement vêtue.

Mais ce stratagème réparateur devait être inutile.

On n'était qu'à deux kilomètres, tout près d'un village, quand une voiture apparut sur la route, s'avançant au galop d'un cheval blanc qu'enveloppait une cinglée de fouet et qu'excitaient des mamours. C'était ChŽrie et, derrière, Bourachon, ayant pour bagage un fusil, un ceinturon à baïonnette, d'énormes soutiers, et tout un accoutrement de turco. On lui avait dit qu'en gardant plus longtemps chez lui ces objets il était passible des galères, pour recel d'affaires militaires appartenant à l'État, à moins qu'il ne fût condamné à mort comme espion. Or, comme en bon paysan il était encore plus soigneux, de sa peau que jaloux, il rapportait le tout en grande hâte. – Fort bien, lui dit avec politesse le commandant, et s'adressant à Ali qui n'en menait pas large: – Perroquet, voulez-vous reprendre livraison de vos vêtements?

La cérémonie fut de toute convenance, pleine de dignité et de froideur. Ali donna un quitus à son propriétaire d'une nuit, et le meunier s'en retourna. Mais comme il fallait bien faire passer sa colère sur quelqu'un, ce qu'il ficha une raclée à ChŽrie avec une litanie de mots tendres!