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1842, 1 oktober |
Charles Hortensius Emile Cros geboren in
Fabrezan (Aude) |
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1880, 6 juni
In: Tout-Paris -
Ancien Hydropathe - Jrg. 2 nr. 11
Verscheen ook in
L'Amusant - Journal hebdomadaire, 28 november 1880
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LA JOURNÉE VERTE

A Félix
GALIPAUX
(Il entre avec un petit peigne à miroir
où il se regarde.)
Non, le soir, ça ne se voit pas. (Au
public.) N'est-ce pas que ça ne se voit pas? Quoi? Qu'est-ce qui
ne se voit pas? Ah! c'est juste. Je ne vous ai pas dit ce qui m'est
arrivé.
D'abord, je suis employé, employé aux...
inutile de vous le dire; vous feriez des cancans à l'administration,
enfin je suis employé, toujours employé, toujours assis, jamais de
vacances. Aussi, samedi dernier, Oscar (il est au même bureau que
moi) Oscar me dit : «Nous n'en pouvons plus, si tu veux, demain nous
irons à la campagne : oh ! la campagne. » Oscar disait ça, en
ouvrant les narines (il a les narines très grandes). Donc, à demain
matin, sans faute, à
8 heures, à la gare de... Je ne vous dis
pas la gare, vous iriez faire des cancans.
Le lendemain, à 7 heures, je bondis de
mon lit. Il faisait beau (il faisait froid), allons tout va bien.
Oh! de l'air! de la verdure ! courir,
sauter, danser, chanter tra la la, un costume léger, mon panama, et
en route !
Près de la gare, j'aperçois Oscar et sa
femme, ils étaient comiques ! Oscar avait un voile vert à l'anglaise,
sa femme un châle vert (pas d'un beau vert, par exemple). Je les
rejoins, Oscar saute sur moi, il m'attache un voile vert à mon
panama (c'est très bon pour le soleil et la poussière), il m'aime
beaucoup Oscar.
« Pois verts ! Pois verts ! » Qu'est-ce
que c'est que ça? Ça avait l'air de sortir du corps de Mme Oscar. Je
saute en l'air. Un coup de vent soulève le châle vert, je vois un
bec-salé. Celui d'un perroquet.
Oscar me dit : « C'est Cocotte, nous
l'avons emmenée parce que si nous la laissions seule à la maison,
elle nous ferait avoir congé. Gratte, Cocotte, gratte. Elle dit
aussi les beaux arrrrtichauts, elle a appris ça l'année
dernière, sa cage était à la fenêtre et il passait
beaucoup de marchands.
«Dis: les beaux arrrtichauts. » Mais
l'oiseau ne disait que : «Pois verts ! Pois verts ! »
Nous entrons casser une croûte chez un
traiteur, on balaie, les chaises sont sur la table. Un garçon mal
peigné, les mains sales, en tablier sombre, arrive. « Messieurs et
dames, sous le bosquet, vous serez mieux. » — C'est ça ! sous le
bosquet ! » (Geste d'applaudissement de Mme Oscar.) Le bosquet !
C'est une cour étroite avec des murs hauts comme ça (geste) et
encore des murs, il n'y en a que trois, le quatrième c´est une
chaudière de lavoir. II faisait un froid, nous étions vêtus très
légèrement. Il y avait un treillage de bois, sans l'ombre d'une
plante, une table de bois (le ruisseau de la pompe passait dessous,
aussi mes pieds...), des bancs de bois, tout ça badigeonné en vert,
y compris les trois murs hauts comme ça (geste), la chaudière du
lavoir et môme la pompe.
On nous a apporté du veau qui avait
trempé dans l'oseille, du cresson, du vin blanc — autant dire du
vinaigre — il a fallu vider la bouteille.
Cocotte n'arrêtait pas de crier : Pois verts !
Oh ! s'il y avait eu du persil avec le veau!
Total : 13 fr. 50! C'est moi qui ai payé, Oscar
était allé chercher les billets à la gare.
Nous allions partir quand l'affreux perroquet se
dénonce par son cri, l'employé ne yeut pas nous laisser passer. Il
veut qu'on mette l'oiseau dans le compartiment des chiens. Oscar
s'emporte. «M. l'employé, soyez poli avec ma femme. » Le train part
pendant la dispute. On va chez le chef de gare qui permet le
perroquet pour le train suivant dans une heure. Une heure dans la
gare! les pieds froids avec du cresson et du vin blanc dans le
corps, en face d'une immense affiche de la belle Potagère,
une affiche d'un vert-pomme à vous tuer les yeux ! Et l'infâme
volatile criait sans arrêter : «Pois verts! Pois verts!
» Voyageurs pour Ceinture, en voiture! »
Nous nous levons. Oscar était pâle, c'était le
vin blanc ou bien le voile anglais qui était sur son melon. J'avais
un mal de tête, je fumais un cigare en feuille de chou acheté à la
buraliste de la salle d'attente. J'avais mal au cœur, était-ce le
cresson ou le cigare?
« Ceinture! Ceinture! »'
Nous descendons. Oscar demande : Le train pour...
(c'est un endroit qu'il connaît.) — Il vient de partir. — Et le
suivant? — Dans deux heures.
« Oh ! alors, allons à pied, ça nous promènera.
Je connais le pays. » Je n'aime pas les gens qui connaissent
les pays, ils se trompent toujours. Nous avons suivi une rue
interminable entre deux murs, les pavés pointus. Le temps s'était
couvert. J'avais des tiraillements d'estomac. Oh ! ce vin blanc! Le
temps s'est gâté tout à fait. Allons bon ! la pluie!... ça va
peut-être me faire passer mon mal de tête. Oscar m'agaçait : « Que
c'est bon l'air ! »
Dans une petite demi-heure nous serons
chez le père Lamèche. <<Au bout de la rue, tu connais bien l'endroit,
une maison avec des volets verts ! » Je ne connaissais pas l'endroit,
mais j'avais bien mal à la tète.
— Chérie, tu ne pourrais pas faire taire
un peu Cocotte.
— Mon ami, tu sais bien que le grand air
l'excite. Il fallait me dire de ne pas l'emmener, alors, ou de
rester à la maison avec elle.
— Tu es toujours comme ça à la campagne.
— Pendant qu'ils se disputent, la pluie se met à tomber sérieusement,
toujours des murs, où s-'abriter ? Enfin, nous voilà chez le père
Lamèche trempés comme trois soupes ou quatre, en comptant le
perroquet.
— Prenons quelque chose de fort, ça nous
séchera, dit Oscar. Nous avons pris de l'absinthe, nous avons joué
au billard, oh ! le drap vert! Vous savez, avec des billes carrées
et des queues sans procédé; la pluie ne cessait pas. Oscar était
spirituel, c'était horrible. Mon mal de tête s'était doublé d'un mal
de gorge: Je ne voyais plus clair. Nous avons dîné là. Je me
rappelle vaguement une soupe à l'oseille, une omelette aux épinards,
et de la salade, beaucoup de salade verte. Et puis... oui, c'est ça,
nous sommes revenus à la gare, il pleuvait plus fort qu'avant. Ça
sentait le chien mouillé dans le wagon. Ça me portait au cœur.
A Paris, ils m'ont mis dans une voiture découverte. Il n'y a que de
celles-là, quant il pleut. Oscar donne mon adresse : « Cocher !
Lanterne verte, c'est votre quartier. » Je me croyais sauvé à Paris,
plus de verdure, plus de campagne! Horreur! la voiture enfile le
boulevard Haussmann — tous ces arbres à droite et à gauche! J'ai cru
que je mourrais! Quand je suis revenu à moi, j'étais dans mon lit ;
un prince de la science, une garde-malade, une sœur de charité
m'entouraient. La sœur met sa main sur ma bouche pour
m'empêcher de parler. Je me révolte. Je bondis. Devant mon armoire à
glace, je recule épouvanté. J'étais vert comme ane purée de pois.
J'avais attrapé la jaunisse. Je suis guéri aujourd'hui, où à peu
près. (Tirant son miroir.) Ça ne se voit plus, n'est-ce pas ?
Ça ne fait rien, on ne me reprendra plus à aller courir dans les
bois.
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Charles Cros - Karikatuur uit
Les Hydropathes van 20 maart 1879, door Cabriol

Charles Cros
De tekst is bedoeld om te worden voorgedragen op het toneel.
Félix Galipaux: Auteur en voordrachtskunstenaar die teksten van Cros
uitvoerde. Net als Cros lid van de Hydropathes.
Zie
hieronder. |
1879, 20 maart
Alphonse Allais

in: L’Hydropathe
Jrg. 1, nr. 5 |
Charles Cros
Je connais peu de figures aussi étranges
et aussi sympathiques que celle de Charles Cros. Un
monsieur qui écrit le Hareng sour

ou le Bilboquet et qui en même temps trouve la solution
complète de cette question : la Photographie des Couleurs, ou
bien invente le Phonographie (8 mois 1/2 avant Eddison),
constitue, vous en conviendrez, un ensemble quelque peu fantastique.
Charles Cros a trente-six ans, mais
c'est à peine si on lui en donnerait vingt-cinq, tant son œil est
bien éclairé de joyeuses lueurs gavrochardes.
A quatre ans, il commet le quatrain
suivant (authentique).
Je suis à ma fenêtre.
Devant le Luxembourg.
J'écoute la trompette
Et aussi le tambour.
Le jeune poète était-il de bonne foi ou
commençait-il sa série de charges célèbres dont Coquelin cadet
est un complice très-responsable?
A onze ans, Charles Cros est pris de
folie pour les langues orientales. Il les apprend surtout en
bouquinant, sur les quais ou en se faufilant aux cours publics dans
les jambes des graves auditeurs de la Sorbonne. A seize ans, il est
en état de professer l'hébreu et le sanscrit, ce qu'il fait avec un
certain succès. Je me contenterai de citer deux élèves du jeune
professeur :
M. Michel Bréal, de l'Institut,
professeur au Collège de France, est son élève pour l'hébreu.
M. Paul Meyer, professeur au Collège de
France, est son élève pour le sanscrit.
A dix-huit ans, il entre aux
Sourds-Muets comme répétiteur. Il y fait même le cours de chimie et
y invente le Phonographe qu'il appelle
Paléophone.
Il espérait que ses élèves muets
porteraient l'instrument en bandouillère avec une provision de
phrases pour la journée. Il commence alors la médecine, l'exerce
avant d'être reçu docteur et s'obstine à ne pas le devenir, bien
qu'il n'ait que peu de chose à faire pour terminer complètement.
Mais il aime mieux rester un fantaisiste échevelé en littérature
comme en sciences.
J'ai parlé plus haut du Phonographe,
qui est, passez-moi cette expression hydropathesque, un des
épatements du siècle. Cros en avait décrit le principe et la
construction dans un pli cacheté, déposé à l'Académie des sciences,
le 30 avril 1876. Peu de temps après, La Semaine du clergé
(10 octobre 1876), d'après les indications de Charles Cros
confiées à l'abbé Leblanc, donnait une description perfectionnée et
complète, de cet instrument. Huit mois 1/2 après, l'américain
Eddison prenait son brevet, remplaçant simplement par une feuille
d'étain, le verre enduit de noir de famée de Charles Cros. La
priorité n'est plus contestée maintenant à notre compatriote. Son
brevet, du reste, est le seul valable et le Phonographe va d'ici pou
entrer dans une voie pratique et industrielle.
Le bagage scientifique de Charles Cros
est plus considérable que celui de n’importe quel académicien. La
place me manque pour l'énumérer rapidement. Je citerai seulement sa
production artificielle d'améthystes, saphirs, rubis, topaze, etc. (cristallisation
et coloration de l'alumine) et sa Photographie des Couleurs qui fait
actuellement sensation dans le monde savant et remplacera
complètement l'ancienne photographie.
Je cite à la hâte quelques ouvrages de
Charles Cros :
Etude sur les moyens de communication
avec les planètes où il prétend que Mars et Vénus nous font depuis
longtemps des signes que nous ne comprenons pas.
« Le Coffret de Santal » ; il s'en
prépare, chez Tresse, une deuxième édition luxueuse.
« La Mécanique cérébrale. » présentée à
l'Académie des sciences.
« Le Fleuve >>, poëme avec eaux-fortes
de Manet
Dizains réalistes en collaboration de
MM. Maurice Rollinat
,
Germain Nouveau et autres poètes.
Plus une foule de vers et de nouvelles
publiés un peu partout.
N'oublions pas les Monologues insensés :
Ces contes que Cros sait
écrire
Et que Coquelin seul sait dire.
a dit Georges Lorin, et que Mme Tresse devrait
bien réunir en un seul volume.
Charles Cros n'est pas décoré, mais il est
Hydropathe !
Alphonse Allais. |

Alphonse Allais:
schrijver, Hydropathe



Coquelin cadet: voordrachtskunstenaar; Hydropathe. In HPM:
voordracht
L'Unicoloriste van Jules Moy over Alphonse Allais,
uitgevoerd door Coquelin cadet

Maurice Rollinat: schrijver,
Hydropathe
 |
Paul
Vivien
in: L’Hydropathe – Jrg. 2, nr. 3 – 8 februari 1880 |
L’Hydropathe Félix Galipaux
De tous les hydropathes,que nous ayons
pour traicturés jusqu'à ce jour, Félix Galipaux est sans contredit
le plus jeune, plus jeune que Champsaur lui-même, mais non le moins
connu.
C'est un enfant de la docte Gascogne (salue,
mon cher Goudeau) et comme tous les gascons il a eu assez de
confiance en lui-meme; à dix-neuf ans à peine il a su se faire un
nom aimé de ce public parisien si difficile, mais si bon, quand il
s'agit de constater de réels talents.
A neuf ans il jouait des rôles sur des
scènes bourgeoises. Opposition très-vive de la part des parents ;
obstination de l'enfant qui sent déjà en lui le démon tentateur de
L’Art.
Il vient à Paris, se présente ou
Conservatoire sans protection, et entre dans la classe de
Régnier. Là se révèle un talent remarquable de diseur; il
joue dans les salons, au cercle de la rive gauche, St-Arnaud et au
cercle international de France, est bientôt appelé en province où il
débite, presque à l’égal de Coquelin cadet, les monologues
désopilants de notre co-hydropathe Charles Cros.
Arcachon, Biarritz, Bordeaux,
l'acclament successivement.
Félix Galipaux n'est pas seulement ce
diseur que nous applaudissons chaque soir au cercle des hydropathes,
il est encore violoniste distingué : il a eu deux prix de violon à
Bordeaux.
Poête naturaliste et de plus
caricaturiste à ses heures, il a fait éditer chez Barbré, Mieux
que ça et En revenant de l'Assommoir, en collaboration
avec E. Leclerc, et L’Homme jaune, parodie de la
Conscience de Victor Hugo.
Victor Legrand, le critique qu'on sait,
lui a dit un jour :
Tu Mascarillus eris

Nous le souhaitons tous.
Paul Vivien |

Eigenlijk: Tu Marcellus eris, gij zult Marcellus zijn.
Vergilius, Aeneas 6. Gezegd tot iemand van wie men hoge
verwachtingen koestert. Marcellus was de neef van keizer Augustus |
1888, 9 augustus |
Charles Cros overlijdt in Parijs |
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1888, 17 augustus |
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In memoriam Charles Cros uit tijdschrift
Le Pierrot van 17 augustus 1888. Illustratie: A. Willette
Bron: www. Livrenblog |
18??
Paul Verlaine
Uit: Les hommes
d'aujourd'hui
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CHARLES CROS
Charles Cros, poète français, né à
Fabrezan près Narbonne (Aude), le 1er octobre 1842, n'a imprimé
qu'un livre de vers grossi de fantaisies en prose : mais son œuvre
dans des journaux et revues, œuvre non encore recueillie, est
considérable dans la mesure de l'extrême talent déployé sous la
dictée d'un génie aussi beau qu'incontestable. Génie, le mot ne
semblera pas trop lourd à ceux assez nombreux qui ont lu ses pages
impressionnantes à tant de titres; et ces lecteurs, je les traite
d'assez nombreux en vertu de la clarté, même un peu nette, un peu
brutale, et du bon sens parfois aigu, paradoxalement dur, toujours à
l'action, qui caractérise sa manière si originale d'ailleurs. De la
taille des plus hauts entre les écrivains de premier ordre, il a
parfois sur eux ce quasi-avantage et cette presque infériorité de se
voir compris mal à la vérité dans la plupart des cas, et c'est
heureux et honorable, par des lecteurs d'ordinaire rebelles à telles
œuvres de valeur exceptionnelle en art et en philosophie. Et
pourtant amère et profonde, ce qui est souvent, mais ici bien
particulièrement synonyme, se manifeste en tout lieu la philosophie
de Charles Cros, desservie par un art plutôt sévère sous son charme
incontestable mais d'autant plus pénétrant. Lisez par exemple ces
étranges nouvelles Correspondance interastrale, et surtout la
Science de L’Amour, cruelle satire où toute mesure semble
gardée dans la plaisanterie énorme. J'y relis avec joie ces vers
colossaux d'une «romance» imaginée par l'auteur en gaieté au compte
d'un bon jeune homme brûlant pour une pensionnaire moins naïve mais
aussi férocement bête que son « amour » la lui montre, d'une flamme
intelligente à la façon de celles de l'enfer, et qu'il lui soupire
très sérieusement, en pleine soirée bourgeoise, en vue de les
charmer, elle, ses parents et LA dot :
AUPRÈS D'UN BOCAL
Je le voyais en blanc faux-col,
Frais substitut aux clignes poses :
S'il n'était pas dans l'alcool,
Comme il eût fait de grandes choses !
Lisez parmi ses Monologues
(c'est lui, entre parenthèses, qui a créé, ou
je me trompe fort, ce genre charmant, le Monologue, qu'on a sans
doute bien galvaudé postérieurement à lui et dont Coquelin Cadet fut
l'impayable propagateur), lisez, dis-je, entre de nombreux
chefs-d'œuvre en l'espèce, le Bilboquet, flegme tout
britannique, verve bien gauloise, exquis mélange d'humour féroce et
de bon gros rire fin et sûr. Lisez encore ces choses, ni poèmes en
prose (titre et forme bien affadis depuis ces maîtres, Aloysius
Bertrand, Charles Baudelaire, Stéphane Mallarmé, Arthur Rimbaud), ni
contes, ni récits, ni même histoires, le Hareng saur,
angélique enfantillage justement célèbre, et le Meuble, que
j'ai toutes raisons d'environner de sympathies même intrinsèques
pour ainsi parler, l'ayant possédé, ce meuble,- du temps où je
possédais quelque chose au soleil de tout le monde. Enfin, fouillez
les publications, exclusivement consacrées aux belles et bonnes
Lettres, d'il y a quelque temps, la Renaissance, la Revue
du Monde nouveau, plus récemment, la Décadence, etc. Vous
reviendrez charmés puissamment, délicieusement frappés de ce voyage
au pays bleu. Car Charles Cros, il ne faut jamais l'oublier, demeure
poète, et poète très idéaliste, très chaste, très naïf, même dans
ses fantaisies les plus apparemment terre-à-terre, cela d'ailleurs
saute aux yeux dès les premières lignes de n'importe quoi de lui.
Mais pour le juger, pour l'admirer dans
toute sa puissance de bon et très bon poète, es menester,
comme dit l'Espagnol, de se procurer l’unique recueil de vers de
Charles Cros, le Coffret de Santal et de se l'assimiler d'un
bout à l'autre, besogne charmante mais bien courte, car le volume
est matériellement mince et l'auteur n'y a mis que ce que, bien trop
modeste, il a cru être tout le dessus de son magique panier. Vous y
trouverez, sertissant des sentiments tour à tour frais à l'extrême
et raffinés presque trop, des bijoux tour à tour délicats, barbares,
bizarres, riches et simples comme un cœur d'enfant et qui sont des
vers, des vers ni classiques, ni romantiques, ni décadents 1) bien
qu'avec une pente à être décadents, s'il fallait absolument mettre
un semblant d'étiquette sur de la littérature aussi indépendante et
primesautière. Bien qu'il soit très soucieux du rythme et qu'il ait
réussi à merveille de rares et précieux essais, on ne peut
considérer en Cros un virtuose en versification, mais sa langue très
ferme, qui dit haut et loin ce qu'elle veut dire, la sobriété de son
verbe et de son discours, le choix toujours rare d'épithètes jamais
oiseuses, des rimes excellentes sans l'excès odieux,
1) Fortune des mots! A plus de cinquante
ans de distance, un groupe de littérateurs reçoit et accepte sans
trop de mauvaise grâce l'épithète de DÉCADENTS, qui n’a rien de bien
précis ni de bien virtuel, de même que les Hugo, Musset et autres,
se virent affublés par les CLASSIQUES (absurdement dénommés
eux-mêmes) du sobriquet très obscur de ROMANTIQUES. Qu'est-ce que
cela d'ailleurs peut faire au génie et au talent ? L'un et l'autre
s'appellent COMME ÇA, et « toujours l'ordre éclate !»
constituent en lui un versificateur
irréprochable qui laisse au thème toute sa grâce ingénue ou
perverse. Au surplus, voici quelques exemples qui « en diront plus
que tout commentaire».
L'ORGUE *
MUSIQUE D'ARMAND GOUZIEN
A André Gill
Sous un roi d'Allemagne ancien,
Est mort Gottlieb le musicien.
On l’a cloué sous les planches.
Hou ! Hou ! Hou !
Le vent souffle dans les branches
Il est mort pour avoir aimé
La petite Rose-de-Mai.
Les filles ne sont pas franches.
Hou! Hou! Hou!
Le vent souffle dans les branches.
Elle s'est mariée, un jour,
Avec un autre, sans amour.
« Repassez les robes blanches! »
Hou ! hou ! hou !
Le vent souffle dans les branches.
* Coffret de Santal, éd. Tresse et
Stock.
Quand à l'église ils sont venus,
Gottlieb à l'orgue n'était plus,
Comme les autres dimanches.
Hou ! hou ! hou !
Le vent souffle dans les.branches.
Car depuis lors, à minuit noir,
Dans la forêt on peut le voir
A l'époque des pervenches.
Hou ! hou ! hou !
Le vent souffle dans les branches.
Son orgue a les pins pour tuyaux.
Il fait peur aux petits oiseaux.
Morts d'amour ont leurs revanches.
Hou ! hou ! hou !
Le vent souffle dans les branches.
LE HARENG SAUR (1
A Guy.
Il était un grand mur blanc — nu,
nu, nu,
Contre le mur une échelle — haute,
haute, haute,
Et, par terre, un hareng saur — sec,
sec, sec.
Il vient, tenant dans ses mains —
sales, sales, sales,
Un marteau lourd, un grand clou —
pointu, pointu, pointu,
Un peloton de ficelle — gros, gros,
gros.
1) Coffret de Santal, éd. Tresse et
Stock.
Alors il monte à l'échelle — haute,
haute, haute,
Et plante le clou pointu — toc, toc,
toc,
Tout en haut du grand mur blanc —
nu, nu, nu.
Il laisse aller le marteau — qui
tombe, qui tombe, qui tombe,
Attache au clou la ficelle — longue,
longue, longue,
Et, au bout, le hareng saur — sec,
sec, sec.
Il redescend de l'échelle — haute,
haute, haute,
L'emporte avec le marteau — lourd,
lourd, lourd,
Et puis, il s'en va ailleurs, —loin,
loin, loin.
Et, depuis, le hareng saur — sec,
sec, sec,
Au bout de cette ficelle — longue,
longue, longue,
Très lentement se balance — toujours,
toujours, toujours.
J'ai composé cette histoire, —
simple, simple, simple,
Pour mettre en fureur les gens —
graves, graves, graves,
Et amuser les enfants — petits,
petits, petits,
L'ARCHET (1
MUSIQUE DE CABANER
Elle avait de beaux cheveux, blonds
Comme une moisson d'août, si longs
Qu'ils lui tombaient jusqu'aux
talons.
1) Coffret de Santal, éd. Tresse et
Stock.
Elle avait une voix étrange,
Musicale, de fée ou d'ange,
Des yeux verts sous leur noire
frange.
Lui ne craignait pas de rival,
Quand il traversait mont ou val,
En l'emportant sur son cheval.
Car, pour tous ceux de la contrée,
Altière elle s'était montrée,
Jusqu'au jour qu'il l'eut rencontrée.
L'amour la prit si fort au cœur,
Que pour un sourire moqueur,
Il lui vint un mal de langueur.
Et dans ses dernières caresses :
« Fais un archet avec mes tresses,
Pour charmer tes autres maîtresses.
>>
Puis, dans un long baiser nerveux,
Elle mourut. Suivant ses vœux,
Il fit l'archet de ses cheveux.
Comme un aveugle qui marmonne,
Sur un violon de Crémone
Il jouait, demandant l'aumône.
Tous avaient d'enivrants frissons
A l'écouter. Car dans ces sons
Vivaient la morte et ses chansons.
Le roi, charmé, fit sa fortune.
Lui, sut plaire à la reine brune
Et l’enlever au clair de lune.
Mais, chaque fois qu'il y touchait
Pour plaire à la reine, l'archet
Tristement le lui reprochait.
Au son du funèbre langage,
Ils moururent à mi-voyage,
Et la morte reprit son gage.
Elle reprit ses cheveux, blonds
Comme une moisson d'août, si longs
Qu'ils lui tombaient jusqu'aux
talons.
INTERIEUR (1
« Joujou, pipi, caca, dodo. »
» Do, ré, mi, fa, sol, la, si, do. »
Le moutard gueule et sa sœur tape
Sur un vieux clavecin de Pape.
Le père se rase au carreau
Avant de se rendre au bureau.
La mère émiette une panade
Qui mijote, gluante et fade,
Dans les cendres. Le fils aîné
Cire, avec un air étonné,
Les souliers de toute la troupe,
Car, ce soir même, après la soupe,
1) Coffret de Santal, éd. Tresse et
Stock.
Ils iront autour de Musard
Et ne rentreront pas trop tard ;
Afin que demain l'on s'éveille
Pour une existence pareille.
« Do, ré, mi, fa, sol, la, si, do. »
» Joujou, pipi, caca, dodo. »
CHANSON DES SCULPTEURS (Coffret
de Santal)
Proclamons les princip's de l'art !
Que tout l'mond' s'épanche !
Le marbre est un' matière à part,
Y en n'a pas d' plus blanche.
Proclamons les princip's de l'art!
Que personn' ne bouge !
La terr' glais', c'est comm' le
homard ;
Quand c'est cuit, c'est rouge.
Proclamons les princip's de l'art!
Que tout l'mond' s'amuse !
Le bronz' dure, à moins qu' par
hasard,
Pour des cloch's on n' l'use.
Proclamons les princip's de l'art !
Que tout l' mond' se soule!
Quoique l' plàtr' soit un peu
blafard,
Il coul' bien dans 'l moule.
Proclamons les princip's de Part !.
Que tout l mond' s'entende !
Les contours des femm's, c'est du
lard,
La chair, c'est d'la viande.
— Je connais Charles Gros de longue
date. Si ma mémoire qui est bonne ne m'égare pas, je l'aurais vu
pour la première fois rue Royale, chez son frère, l’éminent docteur
Antoine Cros, auteur des Décoordinations et inventeur, je
crois, de ce merveilleux plessimètre, de qui l'on a des vers très
bien, des dessins fantastiques amusants au possible et, sans doute,
philosophiques, c'est le cas de le dire, en diable, et aussi des
aquarelles des plus remarquables.
À ces soirées où je fus introduit, ô
qu'il y a belle lurette ! par François Coppée, on croisait bien du
monde.
Un roi d'Araucanie première manière, des
médecins très décorés, des hommes du monde diplomates, sportsmen des
plus meublants... On y rencontrait aussi des artistes, le
sympathique Cabaner dont j'entends encore les sonnets en plain-chant
et les théories parfois abracadabrantes qui vous faisaient vous
tordre sur place puis penser « dans l'escalier >>, Henri Cros frère
d'Antoine et de Charles de qui la reproduction, pour M. Alexandre
Dumas fils, de la tête du musée de Lille, attribuée à Raphaël,
devait donner le branle à sa si légitime réputation de statuaire
excellent et de cirier sans pair, Jules Andrieu, l'érudit et
le polygraphe, que la politique et l'exil devaient ravir aux Lettres
pendant, après et depuis la Commune, aujourd'hui consul de France à
Jersey, par moi connu et apprécié comme excellent ami parmi mes
assez longs séjours à Londres, Léon Valade, de qui viennent de
paraître chez Lemerre les œuvres, hélas ! posthumes, Albert Mérat,
son intime et son frère d'armes qui nous doit encore bien des beaux
vers égaux des anciens, le docteur Favre, collaborateur un peu,
dit-on, au retentissant Homme-Femme, Favre le Biblique,
L’Elohimaire, comme l'appelait une Revue morte en veine, à cette
époque déjà ! de néologismes — grandiloques — d'autres et d'autres
encore... Temps passés !
Je retrouvai Charles Cros et ses frères,
sans les avoir beaucoup quittés, dans le célèbre salon de la
charmante, de la tant regrettée Mme Nina de Callias, salon qui se
partagea, dans les dernières années du règne de Napoléon III, la
plupart des Parnassiens de marque, concurremment avec celui de la
marquise de Ricard où, l'on peut l'affirmer, se fonda ou plutôt se
fondit l'illustre groupe, pour de nobles aventures dans le grand
monde intellectuel parisien et européen. Peinture et musique, poésie
et prose, de la danse et du jeu, quelque politique presque farouche,
« Dieux! quel hiver nous passâmes!
dit un de mes vers que je demande mille
pardons de citer si effrontément, mais c'est la vérité que ces
médianoches chez Nina furent féeriques, voire un brin diaboliques.
Quelques noms, mais quels noms !
Rochefort et sa Lanterne, Villiers et son génie et sa belle voix
pour chanter à l'orgue des vers de Baudelaire mis par lui en
d'admirable musique, Dierx et Mallarmé, Edmond Lepelletier, Emmanuel
des Essarts, Chabrié, Sivry, tant et tant d'excentriques un peu
personnages. Un Paul Verlaine assez différent de celui d'à-présent
extravaguait peut-être trop, mais on lui était si indulgent ! Les
Cros faisaient avec lui Sivry et Villiers, partie de la maison en
quelque sorte. Parmi ces enfants gâtés, tandis que son frère Antoine
dessinait à la plume des « monstres » symboliques ou lavait
d'échevelés paysages et qu'Henri restait toujours un peu rêveur, un
peu absorbé dans quelque vision plastique, Charles Cros se
multipliait en mille démarches amusantes, comme de chanter lui aussi,
du Wagner ou de l'Hervé sur de savants ou fous accompagnements, de
réciter quelque monologue inédit, tout naïvement, détestablement
même, mais combien donc drôlement ! etc. Parfois, il parlait de
science avec la compétence qu'impliquaient plusieurs livres siens,
des plus en estime dans le monde spécial qu'ils intéressent.
La guerre survint, Mme de Callias
mourut à la fleur de l'âge. Les camarades se divisèrent, qui
pour se marier, qui pour des destins plus ou moins
bizarres aussi. Mille changements, quoi! Mais Charles Cros
est resté et restera l'un de nos meilleurs et il faut dire à haute
et intelligible voix, en ces temps vaguement écolàtres, l'un de nos
plus originaux écrivains en vers et en prose. » |
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19?? Michel Mourre
In: Dictionnaire Laffont & Bombiani |
CROS Charles Hortensius Emile.
Poète français. Né le 1er
octobre 1842 à Fabrezan (Aude), mort à Paris le 9 août 1888. Fils
d'un instituteur de Narbonne qui donna sa démission pour
protester contre le coup d'État du 2 décembre et s'installa alors à
Paris avec sa famille comme professeur libre, Charles Cros fit des
études d'autodidacte, avec une prédilection marquée pour les
sciences; à quatorze ans il
passait son baccalauréat. Au même âge il était déjà capable
d'enseigner le sanscrit et l'hébreu. Entré en 1860 comme répétiteur
et professeur de chimie à l'Institut des Sourds-Muets, il s'en vit
une première fois renvoyé en 1862, à la suite d'un duel entre son
frère et un employé de l'établissement, puis il fut repris, puis
définitivement exclu en 1863. Il se replongea alors dans l'étude
pendant plusieurs années, et présenta à l'Exposition universelle de
1867 un télégraphe automatique de son invention. Peu après, devenu
l'amant de la mondaine Nina de Villard, il rencontra dans son salon
les principaux poètes parnassiens, mais se lia particulièrement avec
François Coppée, Verlaine et Villiers de L'Isle-Adam. C'est dans L'Artiste
qu'il fit ses débuts littéraires. En 1871, des poèmes de lui
figurèrent dans le recueil de deuxième Parnasse contemporain,
mais en 1876 le troisième Parnasse refusa de l'accueillir; à
cette date Leconte de Lisle avait déjà refusé de recevoir Charles
Cros, lequel, en orientaliste éru-dit, avait été rapidement irrité
par ce qu'il appelait les « poses philologiques déplacées » des
Parnassiens. En octobre 1871, il avait fait la connaissance de
Rimbaud et l'avait hébergé quelque temps; leur entente, pourtant, ne
dura guère et, lors de la fuite du jeune homme et de Verlaine en
Belgique, Charles Cros prit parti pour Mme Verlaine et
rompit complètement avec les deux poètes. De la fréquentation de
Verlaine, il allait cependant garder jusqu'à sa mort le goût d'une
vie irrégulière, des stations dans les cafés, des apéritifs.
On le vit
fréquenter à peu près tous les groupes de la bohème littéraire des
années 1872-85 : le groupe des « Vivants » où il rencontrait
Richepin, Ponction, Bouchor et Germain Nouveau; le café de la
Nouvelle-Athènes où il retrouvait Alexis, Duranty, Catulle Mendès,
Huysmans et Manet, qui allait devenir son ami intime; les «
Hydropathes » dont, en 1878, il fut un des fondateurs, le cercle du
Chat noir, celui des « Zutistes » qu'il anima avec Alphonse Allais.
Ainsi devint-il peu à peu une sorte de célébrité du Paris littéraire
anecdotique, un personnage de burlesque boute-en-train; seulement,
en dépit de l'admiration d'artistes comme Manet, Gustave Kahn,
Laforgue, le plus profond Charles Cros, le poète de l'absurde et de
la solitude qui s'était exprimé dans Le Coffret de santal
(1873), Le Fleuve (1874), La Science de Vamour (1864),
La Vision du Grand Canal Royal des Deux Mers (1888), restait
complètement méconnu et même ignoré. Le chercheur scientifique aux
vues anticipatrices souvent géniales, l'inventeur avait connu la
même malchance : son mémoire concernant « la description d'un
procédé d'enregistrement et de reproduction des phénomènes perçus
par l'ouïe », procédé que Cros appelait « paléophone », mais qui
n'était autre que le premier phonographe, après avoir suscité
quelques articles pendant l'automne de 1877, devait être rejeté dans
un oubli complet lorsque au mois de mai suivant Edison eut présenté
son premier appareil à l'Académie des Sciences. Quant au poète, bien
qu'on ait donné en 1908 une édition de ses derniers vers sous le
titre : Le Collier de griffes, il ne devait avoir sa revanche
posthume que grâce aux surréalistes qui, en 1923, le célébrèrent
comme un de leurs inspirateurs. On a publié en 1954 une édition
complète de ses œuvres.
Michel Mourre.
« Génie, le mot ne
semblera pas trop fort à ceux, assez nombreux, qui ont lu ses pages
impressionnantes à tant de titres. » Verlaine.
« Génie, auquel on ne saurait
comparer, dans toute l'histoire de l'esprit humain, que Bernard
Palissy, Léonard de Vinci et les grands hommes complets de la
Renaissance. » Emile Gautier.
« Il fait partie de cette
classe d'esprits qui ont à leur sommet les Léonard de Vinci et les
Pascal et, à leurs derniers rangs, les monomanes et les fous. »
Emile Verhaeren.
« L'unité de sa vocation, en
tant que poète et en tant que savant, tient à ce que, pour lui, il
s'est toujours agi d'arracher à la nature une partie de ses secrets.
» André Breton.
Réf. :
-- L. Tailhade, Quelques fantômes de jadis,
Paris.
— H. Clouard, La Poésie française moderne,
Paris, 1924.
— Paul Fort et Louis Mandin, Histoire de la
poésie française depuis 1850, Paris, 1926.
— Emile Verhaeren, Impressions (3e
série), Paris, 1928.
— Maurice Saillet, préface au choix de Poèmes
et Proses de Charles Cros, Paris, 1944.
— L. Babonneau, Génies occitans de la science,
Toulouse, 1947.
— Jacques Brenner et Guy-Charles Cros, préface et
postface aux Œuvres complètes de Charles Cros, Paris, 1954.
— Jacques Brenner et Ian Lockerbie, Charles
Cros, Paris 1955. |
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