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Vous auriez cru que le
colon français, émîgrant en Guyanne, allait, les bras tendus vers
la patrie, mourir d'inanition sur la grève américaine, nourrissant
son souvenir, son seul souvenir, hélas ! des tourtes, des biseaux
dorés de là métropole? Pas du tout: dans son exil, la cuisine vient
lui offrir des consolations ; cet art secourante laissa-t-il jamais
ses enfans au besoin ! Non , non : si le colon n'a plus ces
truffes du Périgord, ces faisans de la mère-patrie, et qu’on ne
saurait dépayser sans leur faire perdre leur fumet, il est là-bas de
ces hommes précieux dont nous avons parlé, de ces êtres secourables
consacrés à la science gastronomique , qui lui préparent des
voluptés insolites , des jouissances inattendues : cet expatrié, qui,
triste, taciturne, croyait n'avoir plus qu'à mourir, se met
machinalement à table. Des pâtés de
langues de perroquet ! des tortues en daube! c'est tout au
plus s'il ose y porter la main... O miracle-! ses traits
s'épanouissent, son visage reprend un air radieux dont il avait perdu
l'habitude. Qui y ramène tant de sérénité? en doutez-vous? les
raffinemens de la bonne chère du pays. Des sensations dont il ne
soupçonnait pas la magie ont chatouillé son palais. Non, la vie ne
lui est plus à charge ; il vivra heureux, content. Qui lui fait ainsi
un Èden de ce lieu d'exil ? son cuisinier.
(…)
Tandis que le
maître-d'hôtel du ministère se surpasse, se rengorge aux éloges de
tout le centre en masse, qui lui vote des félicitations, notre
Cayennais se reporte en imagination dans ses plantations chéries ;
il s'y voit mollement balancé dans un hamac par une jeune et jolie
négresse, en attendant l’heure du dîner; une autre négrillonne
agite mollement sur lui un éventail de plumes d'aras pour lui
rafraîchir l'air. L'heure du dîner arrive : il se voit servir un
excellent potage de chair de carette ou grande tortue ; vient le
bouilli; il voit, à sa grande satisfaction, cet étalage de viandes
surmonté de la tête de singe, pièce de rigueur sans laquelle un
Cayennais croirait sa soupe manquée. À cela succèdent des perroquets
: les jeunes sont rôtis , et présentent leur dos appétissant
d'embon point ; les vieux sont mis en daube et saupoudrés
d'épiceries dont les cuisiniers du lieu ont seul le secret. Mais ce
que les sybarites américains préfèrent à toute chose, ce sont les
pâtés de ces langues de perroquets rondes, charnues,
manger divin dont l'Européenne saurait se faire une idée.
(…)
Je pousserais plus loin
l'examen de la cuisine cayennaise, si l'autorité, sans perroquets,
sans groëgroë, sans carette, s'entretenait du fol espoir de
conquérir des votes transatlantiques avec la bonne chère de la
métropole.
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Perroquet
â la carte

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