Parijs - 19e eeuw Armand Silvestre Bibliothèque perroquettique Silvestre # 13

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  Waarin onze verteller zich nogmaals bedient van het motief van de jaloerse echtgenoot die van zijn vrouw eist dat ze haar papegaai laat opzetten, en wel omdat deze papegaai niet alleen een vocaal wonder is maar ook anderszins in staat is indrukwekkende geluiden voort te brengen. En hoe een copieuze maaltijd van cassoulet uit Castelnaudary bijna roet in het eten dreigde te gooien.  

1895

Nouvelles gaudrioles

Miousic

 

I

Je ne pouvais souffrir autrefois ni les avocats ni les perroquets, ni les médecins ni les singes. Le temps m'a rendu plus tolérant et j'estime qu'il n'est sot métier ni bête indigne d'affection. Je n'ai jamais eu de singe parce que j'ai peur des animaux qui vous réservent de promptes funérailles, supportant mal notre climat, et que la vue de ces condamnés à mort m'est pénible, même pendant leur période de feinte santé. Mais j'ai eu et j'ai encore des perroquets, parce que précisément ces oiseaux sont d'une longévité extraordinaire et que vous avez toutes les chances du monde de mourir avant eux. J'ai donc étudié leurs moeurs et n'ai à en rendre que de bons témoignages. Notre ciel inclément les détourne de l'amour au profit de la musique, absolument comme les petits soprani qui enchantaient les oreilles des papes. On peut dire d'eux qu'ils font de leur voix tout ce qu'ils veulent. C'est du gosier seulement qu'ils articulent, ce qui les rend idoines à traduire tous les sons de quelque nature qu'ils soient, qu'ils sortent de lèvres humaines ou d'ailleurs, du bois qu'on scie, de la planche qu'on rabote, du tambour qu'on frappe, et avec le même intérêt que s'ils récitaient une admirable page de Bossuet. Ce serait donc une erreur considérable que de croire qu'ils se passionnent pour le sens de nos discours et qu'ils ont l'intention de nous imiter dans les usages que nous faisons de la parole. Le bruit d'un moulin à vent leur paraît aussi éloquent qu'une harangue de Gambetta ou une strophe de Musset. Beaucoup de perroquets sans plumes et que nous qualifions de concitoyens sont au fond comme eux.

Allez donc vous étonner, après cela, qu'un perroquet ayant vécu pendant plusieurs mois de traversée avec des matelots absolument malappris, cyniquement grossiers, se complaisant d'ailleurs à lui polluer la mémoire des plus ordes vilenies, s'exprime autrement qu'un jeune prince élevé sur les genoux de madame Campan.  Tel était le cas de Mikado, un joli perroquet vert, de l'espèce dite des Amazones, avec un liséré rouge aux ailes, une pointe d'or à la perruque et autour des yeux, d'or aussi mais plus sombre, un frisson de cils toujours en mouvement. Son éducation à bord avait été la plus détestable du monde. Non seulement les gros mots lui poussaient au bec avec une incroyable facilité, mais il reproduisait, avec une fidélité parfaite, les bruits les plus malséants que comportent les digestions difficiles des gens mal élevés. Il canonnait à l'envi, à tout propos, comme un moine trop repu et qui se croit seul après les vespres. Toute la lyre d'Eole était cachée dans sa petite langue noire et épaisse. Il faisait retourner les gens qui ne pouvaient retenir un « Cochon » indigné. Il possédait, dans ses effets harmonieux les plus complexes, et comme pas un, la gamme de ces indiscrétions intestinales, depuis le susurrement sournois jusqu'au pétard impertinent. Il graduait, modulait, contrepointait, trillait comme il avait entendu faire aux mathurins facétieux qui n'ont pas à leur service l'esprit de Rivarol  ou la fantaisie de Nodier pour égayer leurs veillées. Et, après cela, il imitait le rire des spectateurs malotrus; il riait impudemment, en se grattant malicieusement le dessus de l'oeil de la pointe de son ongle racorni comme une feuille séchée.

Je dois à la vérité de dire que quand mademoiselle Henriette de Saint-Ildefonse l'avait acheté au Havre, puis apporté à Paris dans un sabot de bois blanc, elle ignorait absolument le genre de bavardage auquel Mikado était accoutumé. Elle avait été séduite simplement par la beauté de son plumage et l'intelligence menteuse de sa physionomie. Comme on l'allait marier, à demi contre son gré, avec un chevalier des Oursins âgé de soixante ans, c'est-à-dire comptant une quarantaine de printemps de plus qu'elle, elle pensait qu'un compagnon lui serait utile pendant les longues solitudes qu'un tel mariage comporterait. Mikado qui n'était pas hypocrite, il le faut reconnaître, l'édifia rapidement sur la nature de son éloquence. Mais elle l'aimait déjà; et puis elle pensa qu'il se déshabituerait, qu'il oublierait. Les hommes oublient bien! Témoin son cousin Ferdinand qui, autrefois, lui avait fait la cour, quand il n'était encore qu'au collège, et qui la laissait tranquillement marier à un vieux, sans la venir défendre. Pauvre Henriette! Ce qu'elle haïssait, par avance, ce chevalier des Oursins!

Et comme elle avait raison! C'était un gentilhomme chasseur, insupportable et, de plus, bégueule, ayant des prétentions aux nobles façons et ne pardonnant aucune infraction à l'étiquette.

Aussi, deux jours après le mariage, quand Mikado, pendant le déjeuner, imita le bombardement de Tanger et commença sa pétardière symphonie:

- Holà! Holà! cria le hobereau. Qu'on m'enlève ce sale oiseau qui empoisonne!

- Pardon mon ami! hasarda la jeune chevalière. C'est avec le bec.

C'en était fait. La guerre était déclarée entre les deux époux.

Ce n'était plus que sournoisement, à la dérobée, que la pauvre Henriette pouvait goûter la société de son oiseau favori. Dès que le chevalier rentrait, il fallait qu'on emportât Mikado. Un jour que celui- ci, avant de s'en aller, lui avait fait le salut militaire en une belle canonnade, le gentillâtre n'y tint plus:

- Madame, s'écria-t-il, je vais chasser le sanglier demain et ne reviendrai que huit jours passés. Si à mon retour vous ne me présentez ce misérable perroquet empaillé, par tous les Oursins de ma famille, je vous enferme vous-même dans mon vieux château périgourdin et oncques ne reverrez Paris de votre prisonnière existence. J'ai dit.

Il était déjà en habit de chasse, son cor à la main, - dont le vacarme était autrement déplaisant que les inodores fusées de Mikado.

Henriette pensa que le mieux était de feindre de se soumettre à cette vieille bourrique. En grand'hâte, elle acheta, chez un naturaliste, - ainsi se baptisent, un peu insolemment pour la mémoire de Buffon, messieurs les empailleurs, - un perroquet pareil à Mikado, bourré de foin et les ailes maladroitement ëntr'ouvertes, et le posa sur la cheminée de la chambre du chevalier, sous un trophée cynégotique où s'étalaient les dépouilles de ses victimes.

- Etes-vous content, monsieur? demanda-t-elle au chasseur qui revenait d'assez mauvaise humeur, - car il était bredouille, - mais qui s'esclaffa joyeusement de rire devant le spectre imposteur de Mikado.

- Il est joliment mieux comme ça fit-il, tout en tendant ses lourdes bottes à un valet.

Et, pendant ce temps-là, Mikado, le vrai Mikado, l'authentique Mikado, était fort bien soigné dans une chambre du haut où M. le chevalier ne montait jamais et dans laquelle Henriette passait maintenant le meilleur de ses journées.

II

La première partie de l'automne, aux rouilles pâles encore, s'était achevée en cette existence monotone, quand un événement inattendu mit un peu de variété dans la seconde moitié, couronnée d'or plus sombre et plus enfoncée dans les brumes matinales. C'est que le cousin Ferdinand, qui n'avait pas tant oublié que ça la cousine Henriette, était reparu à l'horizon, après une longue promenade dans les mers lointaines. Henriette découvrit, avec joie, qu'il était encore amoureux d'elle et, n'ayant jamais eu pour lui que les plus bienveillantes dispositions, s'abandonna, sans réserve, à cette affection partagée et pleine de poétiques souvenirs d'enfance. Notre chevalier des Oursins, souvent absent pour ses meurtriers plaisirs, commença donc d'être outrageusement cocu dans ses propres lares. Comme tout son domestique le haïssait et était infiniment dévoué à la chevalière, celle-ci put recevoir son cousin tant qu'elle voulut pendant les absences de son mari. Ah! ce lui fut une rude consolation des tristesses matrimoniales! Mikado, lui-même, fut un peu négligé pour son rival. Il n'en devint que plus venteux et plus malappris dans ses discours.

Et les choses allaient ainsi pour le mieux, nos amoureux se gênant de moins en moins, quand Ferdinand, en une de ses visites adultères, s'avisa d'apporter un cassoulet de Castelnaudary, pour le manger avec sa bonne amie, cependant que le mari de celle-ci pourchassait le renard on ne sait où.

Ce fut une adorable dînette, au coin d'un grand feu de genevrotes, comme on en allume en cette saison. Henriette mangea peu de cassoulet, mais Ferdinand, qui avait à se refaire, en fit une orgie véritable. Puis on remonta dans la grande chambre où le lit grand ouvert attendait, prêt à refermer ses bras de neige tiède sur leur coupable bonheur.

Un appel de cor, dans la grande cour. C'est le chevalier qui revient, toujours bredouille, deux jours avant le retour annoncé. Ferdinand a juste le temps de se sauver dans le cabinet de toilette attenant à la grande chambre aux rideaux tout parfumés de baisers interrompus.

M. le chevalier, de méchante humeur encore, se dispose à profaner le lit de neige tiède, en compagnie de sa légitime épouse qui tremble comme une feuille au vent du soir.

Tout à coup une musique diabolique, tumultueusement éolienne, bombardante et tonitruante, sort du cabinet de toilette, dont la porte fermée en est comme secouée.

- Nom de nom! fit le chevalier en bondissant.

Apprenez-le tout de suite, impatients amis suspendus à ma plume comme des naufragés à un mât égratignant la mer, c'était notre malheureux Ferdinand, victimé par le cassoulet, qui, aprés des efforts héroïques pour en emprisonner les révoltes sonores, renonçait à la lutte et s'abandonnait à ce malséant charivari. Et le cassoulet faisait rage on eût dit l'explosion d'une cartoucherie, tant ces petits haricots de Pamiers sont d'humeur guerrière! Pan! Pan! Pan! Pan! Pan!

Le chevalier allait s'élancer vers le lieu du sinistre. Mais Henriette affolée, illuminée cependant d'une inspiration subite, s'était cramponnée après lui:

- Pardon! Pardon! disait-elle. Eh bien oui, je ne l'avais pas fait empailler!

- Hein? fit le chevalier.

Tu ne reconnais pas sa voix? C'est Mikado que j'ai arraché à ta rage. Je l'avais pris un moment avec moi et je n'ai eu que le temps de le cacher là.

Le chevalier était ahuri.

- Je veux voir tout de même, fit-il.

Mais elle l'enlaça si bien de ses beaux bras blancs qu'elle le ramena vers le lit toujours accueillant et tiède:

- Je te le montrerai demain.

Et elle le lui montra le lendemain, et il fut parfaitement convaincu, avec cinq lettres en trop dans l'adjectif que je lui décerne. De belle humeur, après les doutes qu'il avait eus, il fit grâce à Mikado, et Ferdinand, délivré dès la première heure, vient toujours voir sa bonne amie. Mais il n'apporte plus de cassoulet. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Jeanne-Louise-Henriette Campan (1752-1822), opvoedkundige en hofdame van Marie-Antoinette

 

Antoine Rivarol, auteur (1753-1801) en Charles Nodier, bibliothecaris en schrijver (1780-1844)