Parijs - 19e eeuw Armand Silvestre Bibliothèque perroquettique Silvestre # 18

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  Waarin de schrijver ons voorstelt aan een oude dame en haar ruw gebekte papegaai, alsmede aan haar buurman die hoge verwachtingen heeft van de erfenis die hem te wachten staat en daarom niet schroomt de rol van de papegaai over te nemen. Tot het bittere einde.  

1888

La Vie populaire N°63, 26.08.1888

 

1897

In Silvestres eigen tijdschrift La Semaine joyeuse 1897

Asdrubal

I.

Dans la petite ville de Hal, près Bruxelles, célèbre par la Vierge miraculeuse et le beau monument du grand Servais, vivait, il y a quelque vingt ans, une demoiselle Vandevesse, laquelle n'avait pour société que deux personnes, son voisin Flersijepette et son perroquet Asdrubal. Encore n'en aimait-elle qu'une des deux: le perroquet. Asdrubal était cependant un jacquot fort ordinaire, vert comme un académicien et ne parlant pas mieux que beaucoup de nos immortels. Il avait, de plus, un détestable caractère, pinçait les doigts au sang, jurait comme un roulier, se grisait volontiers, réunissait, en somme, beaucoup de défauts. Flersijepette, au contraire, était une personne tout à fait aimable, insinuante et gracieuse, un homme de meilleur monde, ne prononçant que des mots aimables, très sobre, tout à fait empressé et galant. Mais c'est toujours ça. Mademoiselle Vandevesse préférait les sottises d'Asdrubal aux compliments de Flersijepette, les injures de l'oiseau aux déclarations du gentil-homme.

Et si je vous disais qu'elle avait raison!

C'est que vous ne savez pas tout. Mademoiselle Vandevesse avait soixante-quinze ans et une petite fortune. Flersijepette avait une furieuse envie d'en hériter et voilà tout simplement pourquoi il était aux petits soins. Canaille, va! Mais il fallait, pour qu'il en fût ainsi, que la vénérable vierge fît un testament. Car elle possédait dans l'ombre une foule obscure de neveux à la mode de Bretagne, laquelle ne vaut pas – au moins pour les tripes – celle de Caen, et de petits-cousins. Or, mademoiselle Vandevesse ne se décidait pas. Quand il s'agissait de ses dernières volontés, elle eût souhaité, comme Néron, ne pas savoir écrire. Une infirmité nouvelle vint s'ajouter à ses maux ordinaires: elle devint aveugle.

– Elle peut vivre encore fort longtemps dans cet état, dit le médecin Hostequette à Flersijepette, mais la moindre émotion pourrait la tuer subitement.

Flersijepette pensa, en lui-même; je lui éviterai soigneusement toute émotion jusqu'à ce qu'elle ait dicté ses suprêmes intentions, lesquelles ne sauraient être qu'en ma faveur, puisqu'elle ne supporte de compagnie ici-bas que la mienne.

Et il redoubla d'attentions intéressées, d'hypocrites tendresses.

 

II

Un matin, la bonne Brigitte vint surprendre Flersijepette au saut du lit. Un malheur affreux était arrivé. Asdrubal était mort dans la nuit, d'une indigestion. On l'avait trouvé pendu, comme un malfaiteur, à son perchoir, déjà raide et les ailes convulsées par l'agonie. Mademoiselle n'était pas encore réveillée. Mais comment lui annoncer cet accident épouvantable?

– Gardez-vous de le lui annoncer, malheureuse! s'écria Flersijepette.

– Mais mademoiselle s'apercevra bien...

– Je vais courir tous les oiseliers de la ville pour en trouver un autre.

– Mais, monsieur, vous n'en trouverez nulle part un aussi mal embouché qu'Asdrubal. Mademoiselle était habituée à la voix nasillarde et aux incongruités de langage de son oiseau personnel. Elle ne s'y méprendra pas un seul instant!

– C'est vrai, fit Flersijepette avec découragement.

– Ah! mon Dieu! mon Dieu! Ça va tuer mademoiselle!

Flersijepette devint vert à cette idée. C'est peut-être ce qui lui inspira l'idée sublime de se substituer à l'animal.

– Ecoute, fit-il à Brigitte. J'avais tellement entendu Asdrubal que je crois que je pourrais l'imiter très convenablement. Je connais toutes ses expressions et comme, grâce à sa cécité, c'est à la voix seule que ma vénérable amie reconnaissait sa présence dans la pièce, peut-être parviendrai-je à lui conserver une illusion nécessaire à sa chère santé. Prête-moi, s'il te plaît, une oreille attentive.

Et Flersijepette commença à articuler de gros mots avec un accent si parfaitement semblable à celui du feu perroquet que l'excellente Brigitte se mit à pleurer d'attendrissement.

– C'est à donner envie de vous faire du vin sucré, s'écrie-t-elle.

– Rentre donc vite, m'amie; je serai là pour le réveil de ta maîtresse et elle ne s'apercevra de rien.

 

III.

Alors commença, pour Flersijepette une existence n'ayant d'excuse qu'un désir immodéré d'avoir un jour quelque bien. Il dut jouer un rôle double dans la maison, le sien d'abord et celui de feu Asdrubal, figurer un double personnage. Il simulait de fausses entrées et de fausses sorties pour laisser mademoiselle Vandevesse dans un téte-à-tête mensonger avec son favori. C'était le moment des expansions de la vieille fille et il y fallait répondre par un tas de malpropretés qui la charmaient. Alors elle l'appelait: vieux polisson! Ce n'était pas une mince souffrance pour un homme de l'éducation de Flersijepette que celle d'employer ce vocabulaire grossier, sans compter que la situation était un peu ridicule et que Brigitte se tenait quelquefois les côtes. Mais l'entêté bravait toutes humiliations. Il en devait être payé d'ailleurs. Car, un jour, plus mélancolique que de coutume, mademoiselle Vandevesse s'enferma, une journée tout entière, avec le notaire Van de Pute.

– Est-ce fait? demanda timidement le voisin au tabellion quand celui-ci sortit.

– Oui, fit mystérieusement M. Van de Pute.

– Et peut-on savoir?…

Le notaire mit un doigt sur sa bouche pour affirmer son respect particulier du secret professionnel.

– Bon! que je suis bête pensa Flersijepette. Quel autre que moi pourrait-elle faire son héritier?

Et, tranquille désormais sur son destin, indifférent maintenant à la longévité de sa vieille amie,

involontairement pressé peut-être de la voir quitter cette vallée de larmes, il se relâcha infiniment dans son rôle; il supprima d'abord de son répertoire toutes les cochonneries, ce qui fit demander à mademoiselle Vandevesse: « Es-tu donc malade, Asdrubal? » Puis il soigna beaucoup moins son accent, si bien que mademoiselle Vandevesse ajouta: – « Tu sais, Asdrubal, si tu continues à ne plus imiter que la voix de cet animal de Flersijepette, je ne te ferai plus donner de sucre. C'est bien assez de l'entendre quand il est là. »

– Toi! tu me paieras ça! pensa Flersijepette.

Et il commença à tenir à l'aveugle un tas de propos déplaisants pour elle, mais dans un langage choisi. Il lui parla de sa tête chauve, de ses vieilles dents, de son vieux nez, de son menton en cassenoisette. Le médecin avait dit vrai. Une colère épouvantable l'empoigna et l'emporta dans l'autre monde, la pauvre mademoiselle Vandevesse, ne fut-ce que pour justifier cette simple parole de l'Eclésiaste: La colère abrège les jours.

– Ouf! fit cyniquement Flersijepette. Il était temps! J'en avais assez de faire le perroquet!

 

IV

Neveux à la mode de Bretagne, arrière-petits cousins, toute une famille qu'on ne soupçonnait pas à la vieille trépassée était réunie dans le grand salon pour la lecture du testament. Flersijepette était au milieu, essuyant, avec un vaste mouchoir à carreaux, ses fausses larmes. L'entrée de M. Van de Pute fit taire les propos malveillants dont la morte était l'objet de la part de ses proches. Le notaire s'assit gravement, et, dans un profond silence, sa voix exhala la suprême volonté de mademoiselle Vandevesse.

– « N'ayant qu'à me plaindre de l'humanité, disait celle-ci, je lègue à mon perroquet Asdrubal

toute ma fortune dont un pli cacheté fera connaître l'emploi seulement le jour où il en sera entré en possession. »

– Folie pure! testament nul! hurlèrent les neveux à la mode de Bretagne et les arrière-petits

cousins.

– Pardon! messieurs, fit avec beaucoup de dignité Flersijepette. Le testament, comme l'affirme

sa date, remonte à deux mois à peine et le perroquet est mort depuis près d'un an. Il faut donc chercher à qui allait, par delà son trépas, la volonté de votre vénérée parente. A celui, évidemment, qui continuait, pour elle, l'existence morale de l'oiseau défunt, à celui qu'elle appelait: Asdrubal, à sa place, à moi enfin qui m'étais, dans l'intérêt de sa santé, substitué au lieu et place du volatile qu'elle a entendu favoriser une dernière fois!

– A la porte, l'impertinent! clamèrent les parents furieux.

– Modérez-vous, messieurs, fit le notaire Van de Pute. Les deux avis peuvent se soutenir et il y a là certainement matière à un procès curieux. Je vous laisse le soin de vous l'intenter mutuellement avec l'acharnement que toute question d'intérêt comporte. Voici le pli cacheté dont parle la regrettée défunte. Je le remporte à mon étude et, seulement après l'arrêt du tribunal, connaissance vous en sera donnée à tous. Permettez-moi de me retirer pour ne pas troubler plus longtemps la douleur que vous cause cette perte cruelle.

Et il y avait de l'ironie dans la façon dont M. Van de Pute prononça ces simples mots.

Il se fit alors une oraison funèbre de mademoiselle Vandevesse que je ne souhaite ni à vos mânes, ni aux miennes.

 

V

Le procès a duré dix-neuf ans six mois vingt et un jours, – presque autant qu'il eut duré en France – et un arrêt de la cour vient de donner gain de cause a Flersijepette qui a aujourd'hui soixante et dix-huit ans, condition heureuse entre toutes pour ne pas dilapider sa fortune avec des filles. On ne devrait jamais hériter plus jeune! Il y a deux jours, M. Van de Pute, qui est paralytique et ne se meut plus que dans un fauteuil à roulettes, donnait lecture du fameux pli cacheté à ce qui restait des proches de mademoiselle Vandevesse. Il y était dit que les deux tiers de sa fortune seraient consacrés à faire construire pour son héritier une magnifique cage en or massif, avec clous en diamants, et que le troisième tiers serait attribué au chirurgien de la cour pour le soin qu'il prendrait de l'empailler après sa mort.

Non! la tête que fit Flersijepette!

Il s'était bien gardé d'invoquer le bénéfice d'inventaire avant d'accepter! Le voilà condamné à se faire faire une cage et à se laisser empailler altérieurement. Je ne le plains pas un instant. Je voudrais que tous ceux qui ont attendu les souliers des morts s'y écorchassent les pieds. Flersijepette est devenu affreusement mélancolique et c'est, pour son compte, qu’il répète tous les blasphèmes d'Asdrubal sur un ton de perroquet si saisissant que toutes les vieilles femmes se retournent pour lui demander: As-tu déjeuné, Jacquot?