Parijs - 19e eeuw Armand Silvestre Bibliothèque perroquettique Silvestre # 21

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  Waarin we kennismaken met een nazaat van de roemruchte Vert-Vert, zijnde de papegaai Xavier, en hoe het zo gekomen is dat door de ontsnapping van Xavier uit het klooster alle nonnen Amor hebben vereerd.  

1893

Histoires abracadabrantes

L'Angélus

 

I

Bien que les exemples soient rares que des perroquets se soient reproduits en captivité, il est certain que celui dont il s'agit en cette histoire avait certainement pour aïeul ce Vert-Vert dont Gresset a fait un conte d'ailleurs très inférieur au Lutrin. Il faisait, en effet, également les délices d'une communauté occupant, à Grandbourg, près Corbeil, une délicieuse habitation, sur une des plus aimables rives de la Seine. La maison, perdue dans le feuillage, n'était pas pleine seulement de nonnains, mais de grandes jeunes fllles y étaient religieusement instruites, avant d'entrer dans le monde, portant jusque-là, sinon le voile austère, des robes de couleurs sombres avec un large ruban sur la poitrine où pendait une médaille du bienheureux Xavier, patron de cet ordre innocent. Par vénération pour le fondateur glorieux, le nom de Xavier avait été aussi donné au pieux volatile qui, d'une voix étonnamment souple, répétait avec une rare perfection tous les discours de sœur Théophase, supérieure de l'établissement. En bon perroquet ecclésiastique, il bourdonnait le latin, semblant secouer des oremus à son énorme bec, et sa collerette verte se plissait alors, faisant, par derrière, l'effet d'une chasuble. Une onction considérable mouillait son œil rond à la pupille inégale. Car l'expression du regard dilate ou rétrécit celle-ci chez ces animaux d'une étonnante sensibilité. Il n'était pas un commandement de la vie disciplinée, qu'il partageait avec ses maîtresses, qu'il ne fût prêt à répéter, si sœur Théophase avait une distraction. Il connaissait tout des prescriptions de la maison et l'heure exacte de chaque prière, comme l'heure du repas, comme l'heure du sommeil. Aussi jouissait-il d'une considération énorme dans le menu cloître, considération balançant presque celle de M. le curé de Soisy-sous-Etiolles, directeur des consciences venues là pour leur salut et leur édification. Les sœurs raffolaient de Xavier et les jeunes pensionnaires se disputaient la moindre caresse de l'heureux oiseau.

La propriété, comprenant un parc où les images dévotes, en plâtre, et conçues suivant les affreux modèles sulpiciens, étaient prodiguées, madones sans expression et grossières images, confinait à celle d'un gentilhomme possédant également une belle étendue de terrain, ombragée d'arbres magnifiques, traversée de quinconces que Le Nôtre avait autrefois dessinés, d'une ordonnance un peu solennelle, mais ménageant d'admirables points de vue. Le marquis de Cumerlingue — ainsi se nommait ce hobereau de souche parpaillote — était un érudit, très épris d'art et d'antiquités païennes. En ces belles avenues, il avait dispersé des fragments de statues provenant de fouilles authentiques et d'olympiennes reliques s'y recueillaient dans la belle apothéose des soleils couchants traversant de rayons rouges ces frondaisons séculaires. Avec une vraie piété de collectionneur, il avait, sur des socles

ressemblant à des autels, dressé ces idoles vers lesquelles ne montait plus, avec les adorations de son âme, que l'encens rustique des volubilis. Mais la Nature est si bien le temple qu'il faut à ces débris du culte, qu'elle avait le mieux inspiré, qu'autour de chacun de ces fragments gracieux et héroïques, les troncs se profilaient en colonnades et semblaient soutenir les frises d'un invisible Parthénon. Donc Hercule debout sous sa toison néméenne, Vénus s'élançant de son berceau de nacre, Diane au javelot émonssé, Pomone coiffée de fruits et Cérès de moissons, sans oublier Flore couronnée de roses et Silène couronnée de lierre, habitaient ce dernier asile, célébré encore par la panthéiste chanson des oiseaux et sous le vol énamouré des colombes. Au centre, sur un piédestal beaucoup plus élevé, dominant toute cette mythologie éparse dans les taillis profonds, une statue parfaitement conservée, en admirable marbre de Carrare ancien, de l'Amour, non pas joufflu comme les déshonorantes images de Boucher, mais sous les traits d'un adolescent, d'un éphèbe magnifique, tenant, dans sa main déjà virile, un flambeau.

Inutile de dire que sœur Théophase goûtait médiocrement ce voisinage. Elle avait même fait surélever les murs de ce côté, afin que ses jeunes ouailles eussent les regards préservés de ce spectacle scandaleux. Car, en matière de nudité, cette grave personne devançait la pudeur de Jules Simon lui-même, qui déclarait, dans un récent et mémorable interview, qu'il ne se reconnaissait pas le droit de se promener nu, même quand il est tout seul dans son appartement. Il est vrai que, sans médire des charmes plastiques de ce philanthrope académicien, rien n'y devait moins ressembler que les dieux et les déesses de pierre dont le jardin du marquis de Cumerlingue était orné. Quoi qu'il en soit, Madame la supérieure faisait bonne garde, et si quelque élève, de la classe des grandes surtout, était aperçue glissant un œil indiscret par quelque trou fait par la chute d'une pierre, elle était immédiatement et sévèrement punie, sans compter que Xavier l'appelait: « Petite malpropre! »

 

II

Or, c'était par une admirable fin de printemps, dans un épanouissement complet des choses et des êtres. Ceux-là seulement qui ont habité, comme moi, tout enfant et dans la prime jeunesse, ce coin de paysage, avec la Seine murmurante au bas et dans l'air parfumé par les tilleuls, en connaissent la langueur pénétrante en cette saison, le charme mauvais conseiller aux innocences attardées. Malgré la bonne garde que faisait sœur Théophàse, assistée de sœur Cunégonde, de sœur Apolline, de sœur Bernade et de sœur Bergace, autour de tous ces petits cœurs de pucelles dont le battement se mêlait au frisson d'ailes des libellules, il est vraisemblable que des rêves d'inconsciente volupté s'abattaient, comme un brouillard ensoleillé plein de musiques inconnues, sur ce chaste troupeau, pour employer une évangélique image, et mettaient des frémissements aussi dans la neigeuse et idéale toison de ces jeunes âmes. Le fait était, au moins, certain, pour mademoiselle Isabelle des Hespérides, qui, depuis la grand'messe de Pâques fleuries, où les parents des élèves étaient admis, gardait les sentiments les plus tendres au cousin de son amie mademoiselle Jane de Viroflay. Comment les deux jeunes gens en étaient-ils venus à se révéler leurs muets sentiments? Toujours est-il qu'ils avaient trouvé maints moyens de correspondance et que ce jeune fou d'Achille de Viroflay — ainsi s'appelait cet inconséquent garçon — ne méditait rien moins qu'un enlèvement. On est encore un tantinet romanesque dans le monde qui confie ses héritières aux nonnains. Morbleu! ce n'est pas moi qui lui en ferai un reproche, Amadis des Gaules demeure mon héros et je n'admets plus, dans l’intimité de mon esprit, que les antiques chevaliers de la Table ronde. Ça repose des Panamistes contemporains.

Donc Achille et Isabelle étaient arrivés à se fort bien entendre de loin. Par quelle obscure complicité de quelque subalterne? Je soupçonne beaucoup un apothicaire de Ris-Orangis, qui avait ses entrées familières et fréquentes dans le couvent, sœur Apolline et sœur Bernade ayant un dangereux penchant à ce demi état de pur esprit qui s'appelle malhonnêtement constipation. Le drôle cachait les moindres billets doux dans son clysoir. O choses exquises de l'amour, que vous êtes souvent profanées! Ça n'empêchait pas Achille de couvrir de baisers les moindres billets doux d'Isabelle, ni Isabelle d'enfouir jalousement entre ses nénés les sonnets audacieux d'Achille. On en était arrivé au jour d'accomplir la résolution énergique prise depuis longtemps déjà. A cinq heures de relevée, décidé à attendre, s'il le fallait, jusqu’à l'aurore prochaine, en un chemin creux où se rejoignaient les branches sauvages d'églantines et de mûriers, Achille attendait avec la dernière berline que lui avait louée un carrossier de Corbeil et dont les velours d'Utrecht avaient peut-être connu les derrières de l'émigration, une fantastique voiture que traînait un fantastique et apocalyptique cheval. Car il lui semblait, à cet illustre descendant des Guy de Viroflay, qu'une telle aventure ne se pouvait passer de couleur locale et qu'un rapt eu bicyclette, dernier modèle, est un non-sens absolu. Les choses se doivent approprier aux mœurs qu'elles servent et personne n'enlève plus de demoiselle aujourd'hui. Elles n'en vont toutes seules. Donc, aux fidèles des ancieus errements, il faut encore un goût particulier pour la bimbeloterie.

Isabelle s'était longtemps demandé à la faveur de quel brouhaha elle pourrait bien prendre de la poudre d'escampette. Mais elle avait trouvé. J'ai omis de vous dire que le perroquet Xavier habitait une cage d'où on ne le laissait jamais sortir, charmant sa captivité par des friandises et des gâteaux trempés de bon vin. On n'avait donc pas eu à prendre la cruelle précaution de lui émonder les ailes, comme on fait à ceux qui demeurent sur des perchoirs. Isabelle se dit très sagement qu'en laissant l'oiseau s'envoler, elle produirait une telle émeute dans le couvent que personne ne songerait plus à s'occuper d'elle, ce qui était la seule condition possible de sa fuite.

L'opération réussit à souhait. Xavier ne vit pas plutôt la porte ouverte que, s'étirant un moment, sur le seuil de sa prison, il prit ensuite largement sa volée par la fenêtre.

— Ah! mon Dieu! s'écria-t-elle comme feignant de découvrir la chose, Xavier s'est envolé!

Un coup de pied dans une fourmilière ne produit pas un plus grand effet que cette simple exclamation. Ce fut un immense cri, une indéfinissable clameur traversée par les sanglots de sœur Théophase, les hoquets de sœur Cunégonde, les convulsions de sœur Bergace, sans compter les détonatious de sœur Apolline et de sœur Bernade que leur infirmité naturelle tenait toujours gonflées comme des canons. Dans cet indescriptible tohubohu, les voix des petites mettaient comme un susurrement furieus de fifres endiablés. Seule muette, mademoiselle Isabelle des Hespérides allait tranquillement rejoindre dans sa berline le chevalier Achille de Viroflay.

 

III

Xavier s'était d'abord perché sur le plus haut marronnier du parc. Quand il y fut découvert, faisant tranquillement, du bout crochu de son bec, la toilette de ses ailerons, ce fut un grand murmure de joie. Oui, mais comment le faire descendre de là ou l’aller chercher si haut? Sœur Théophase n'avait jamais accepté de jardinier qu'un nonagénaire capable tout au plus de monter sur un arbre à terre. Sœur Bergace, qui était agile, proposa de tenter l'ascension. Mais, par une incroyable fatalité, son pantalon était au blanchissage. Mademoiselle Noémie de Pissbrouck, une petite espiègle, proposa bien de charger sœur Bernade d'un noyau de cerise, comme une sarbacane. Cette inconvenance lui valut trois mauvais points. C'était l'heure du dîner.

— A table, mesdemoiselles, dit gravement Xavier sur son gigantesque perchoir.

Et comme personne ne bougeait, de la foule amassée à ses pieds, il ajouta:

— Vite! le Benedicite...

— Ah! mon Dieu! mon Dieu! murmurèrent les pauvres nonnains affolées en tordant leurs jolis doigts blancs.

— Il le faudrait affriander par des douceurs, dit sœur Bergace.

On alla quérir un verre de bordeaux et des biscuits à la cuiller. Mais Xavier exprima que le grand air lui avait coupé l'appétit.

— Si on lui jetait une serviette pour le faire tomber? poursuivit sœur Polyphème.

L'idée fut couronnée d'un vrai succès. Xavier, qui n'aimait pas qu'on l'embêtât, quitta tranquillement le marronnier et, passant au-dessus du mur de clôture, s'alla poser dans le parc du marquis de Cumerlingue, l'amateur de profanes antiquités.

On envoya immédiatement une sœur converse demander au gentilhomme de vouloir bien continuer la chasse au perroquet avec ses propres gens. Baste! quand tout se met à aller mal! Le marquis était parti pour les bains de mer, une heure auparavant, emmenant tout son domestique.

Il fallait bien cependant poursuivre l'oiseau, avant qu'il eût peut-être l'idée d'aller s'établir de l'autre côté de la Seine où le soleil, à son déclin, allumait d'admirables feux de Bengale. Àh! tant pis! il y avait un coin où la séparation des deux propriétés n'était pas bien solidement défendue.

Sœur Théophase y creusa une brèche, de ses mains, et y passa la première. A sa suite, tout le couvent envahit le parc du marquis absent, les nonnains fouillant l'horizon d'un regard curieux, les élèves se montrant, en chuchotant, les statues mythologiques.

Animal de Xavier! II avait été juste se poser sur la tête de l'Amour qui dominait, de la hauteur d'un véritable autel, tout ce microcosme de pierre sculptée. Les marches en furent immédiatement assiégées, mais aucune main ne pouvait atteindre jusqu'à l'oiseau, qui cette fois-ci se lissait béatement les plumes de la queue.

Tout à coup l'Angélus sonna, lointain, à la petite église d’Évry.

Aussitôt Xavier, contrefaisant la voix de la supérieure:

— A genoux, mesdemoiselles, fit-il, pour l'Angélus!

Et obéissant par habitude, nonnains et pensionnaires, oubliant où elles étaient, marmottant l'Angélus, s'agenouillèrent, si bien qu'en plein dix-neuvième siècle, et à quelques lieues de Paris seulement, on put voir, ce soir-là, d'authentiques religieuses et les héritières des plus grandes familles de la chrétienté française faisant leurs dévotions aux pieds du plus païen et peut-être du seul vivant des dieux: l'Amour.