Cependant cet oiseau qui prône les merveilles, |
Ce monstre composé de bouches et d’oreilles, |
Qui, sans cesse volant de climats en climats, |
Dit partout ce qu’il sait et ce qu’il ne sait pas; |
La Renommée enfin, cette prompte courrière, |
Va d’un mortel effroi glacer la perruquière; |
Lui dit que son époux, d’un faux zèle conduit, |
Pour placer un lutrin doit veiller cette nuit. |
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A ce triste récit, tremblante, désolée, |
Elle accourt, l’œil en feu, la tête échevelée, |
Et trop sûre d’un mal qu’on pense lui celer: |
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«Oses-tu bien encor, traître, dissimuler? |
Dit-elle; et ni la foi que ta main m’a donnée, |
Ni nos embrassements qu’a suivis l’hyménée, |
Ni ton épouse enfin toute prête à périr, |
Ne sauraient donc t’ôter cette ardeur de courir! |
Perfide! si du moins, à ton devoir fidèle, |
Tu veillais pour orner quelque tête nouvelle! |
L’espoir d’un juste gain, consolant ma langueur, |
Pourrait de ton absence adoucir la longueur. |
Mais quel zèle indiscret, quelle aveugle entreprise |
Arme aujourd’hui ton bras en faveur d’une église? |
Où vas-tu, cher époux? est-ce que tu me fuis? |
As-tu donc oublié tant de si douces nuits? |
Quoi! d’un œil sans pitié vois-tu couler mes larmes? |
Au nom de nos baisers, jadis si plein de charmes, |
Si mon cœur, de tout temps facile à tes désirs, |
N’a jamais d’un moment différé tes plaisirs; |
Si, pour te prodiguer mes plus tendres caresses, |
Je n’ai point exigé ni serments, ni promesses, |
Si toi seul à mon lit enfin eus toujours part, |
Diffère au moins d’un jour ce funeste départ.» |
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En achevant ces mots, cette amante enflammée |
Sur un placet voisin tombe demi-pâmée. |
Son époux s’en émeut, et son cœur éperdu |
Entre deux passions demeure suspendu; |
Mais enfin rappelant son audace première: |
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«Ma femme, lui dit-il d’une voix douce et fière, |
Je ne veux point nier les solides bienfaits |
Dont ton amour prodigue a comblé mes souhaits; |
Et le Rhin de ses flots ira grossir la Loire, |
Avant que tes faveurs sortent de ma mémoire. |
Mais ne présume pas qu’en te donnant ma foi |
L’hymen m’ait pour jamais asservi sous ta loi: |
Si le ciel en mes mains eût mis ma destinée, |
Nous aurions fui tous deux le joug de l’hyménée; |
Et, sans nous opposer ces devoirs prétendus, |
Nous goûterions encor des plaisirs défendus. |
Cesse donc à mes yeux d’étaler un vain titre; |
Ne m’ôte pas l’honneur d’élever un pupitre; |
Et toi-même, donnant un frein à tes désirs, |
Raffermis la vertu qu’ébranlent tes soupirs. |
Que te dirai-je enfin? c’est le ciel qui m’appelle. |
Une église, un prélat m’engage en sa querelle. |
Il faut partir: j’y cours. Dissipe tes douleurs, |
Et ne me trouble plus par ces indignes pleurs.» |
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Il la quitte à ces mots. Son amante effarée |
Demeure le teint pâle, et la vue égarée: |
La force l’abandonne; et sa bouche, trois fois |
Voulant le rappeler, ne trouve plus de voix. |
Elle fuit; et, de pleurs inondant son visage, |
Seule pour s’enfermer monte au cinquième étage; |
Mais, d’un bouge prochain accourant à ce bruit, |
Sa servante Alizon la rattrape et la suit. |
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Les ombres cependant, sur la ville épandues, |
Du faîte des maisons descendent dans les rues; |
Le souper hors du chœur chasse les chapelains, |
Et de chantres buvants les cabarets sont pleins. |
Le redouté Brontin, que son devoir éveille, |
Sort à l’instant, chargé d’une triple bouteille |
D’un vin dont Gilotin, qui savait tout prévoir, |
Au sortir du conseil eut soin de le pourvoir. |
L’odeur d’un jus si doux lui rend le faix moins rude: |
Il est bientôt suivi du sacristain Boirude; |
Et tous deux, de ce pas, s’en vont avec chaleur |
Du trop lent perruquier réveiller la valeur. |
«Partons, lui dit Brontin: déjà le jour plus sombre, |
Dans les eaux s’éteignant, va faire place à l’ombre. |
D’où vient ce noir chagrin que je lis dans tes yeux? |
Quoi! le pardon sonnant te retrouve en ces lieux? |
Où donc est ce grand cœur dont tantôt l’allégresse |
Semblait du jour trop long accuser la paresse? |
Marche, et suis-nous du moins où l’honneur nous attend.» |
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Le perruquier honteux rougit en l’écoutant. |
Aussitôt de longs clous il prend une poignée: |
Sur son épaule il charge une lourde coignée; |
Et derrière son dos, qui tremble sous le poids, |
Il attache une scie en forme de carquois : |
Il sort au même instant, il se met à leur tête. |
A suivre ce grand chef l’un et l’autre s’apprête: |
Leur cœur semble allumé d’un zèle tout nouveau; |
Brontin tient un maillet, et Boirude un marteau. |
La lune, qui du ciel voit leur démarche altière, |
Retire en leur faveur sa paisible lumière. |
La Discorde en sourit, et, les suivant des yeux, |
De joie, en les voyant, pousse un cri dans les cieux. |
L’air, qui gémit du cri de l’horrible déesse, |
Va jusque dans Cîteaux réveiller la Mollesse. |
C’est là qu’en un dortoir elle fait son séjour; |
Les Plaisirs nonchalants folâtrent à l’entour; |
L’un pétrit dans un coin l’embonpoint des chanoines; |
L’autre broie en riant le vermillon des moines: |
La Volupté la sert avec des yeux dévots, |
Et toujours le Sommeil lui verse des pavots. |
Ce soir, plus que jamais, en vain il les redouble. |
La Mollesse à ce bruit se réveille, se trouble: |
Quand la Nuit, qui déjà va tout envelopper, |
D’un funeste récit vient encor la frapper, |
Lui conte du prélat l’entreprise nouvelle: |
Aux pied des murs sacrés d’une sainte chapelle, |
Elle a vu trois guerriers, ennemis de la paix, |
Marcher à la faveur de ses voiles épais: |
La Discorde en ces lieux menace de s’accroître; |
Demain avec l’aurore un lutrin va paraître, |
Qui doit y soulever un peuple de mutins. |
Ainsi le ciel l’écrit au livre des destins. |
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A ce triste discours, qu’un long soupir achève, |
La Mollesse, en pleurant, sur un bras se relève, |
Ouvre un œil languissant, et, d’une faible voix, |
Laisse tomber ces mots qu’elle interrompt vingt fois: |
«O Nuit! que m’as-tu dit? quel démon sur la terre |
Souffle dans tous les cœurs la fatigue et la guerre? |
Hélas! Qu’est devenu ce temps, cet heureux temps, |
Où les rois s’honoraient du nom de fainéants, |
S’endormaient sur le trône, et, me servant sans honte, |
Laissaient leur sceptre aux mains ou d’un maire ou d’un comte? |
Aucun soin n’approchait de leur paisible cour: |
On reposait la nuit, on dormait tout le jour. |
Seulement au printemps, quand Flore dans les plaines |
Faisait taire des vents les bruyantes haleines, |
Quatre bœufs attelés, d’un pas tranquille et lent, |
Promenaient dans Paris le monarque indolent. |
Ce doux siècle n’est plus. Le ciel impitoyable |
A placé sur le trône un prince infatigable. |
Il brave mes douceurs, il est sourd à ma voix: |
Tous les jours il m’éveille du bruit de ses exploits. |
Rien ne peut arrêter sa vigilante audace: |
L’été n’a point de feux, l’hiver n’a point de glace. |
J’entends à son seul nom tous mes sujets frémir. |
En vain deux fois la paix a voulu l’endormir; |
Loin de moi son courage, entraîné par la gloire, |
Ne se plaît qu’à courir de victoire en victoire. |
Je me fatiguerais de te tracer le cours |
Des outrages cruels qu’il me fait tous les jours. |
Je croyais, loin des lieux où ce prince m’exile, |
Que l’Église du moins m’assurait un asile; |
Mais en vain j’espérais y régner sans effroi: |
Moines, abbés, prieurs, tout s’arme contre moi. |
Par mon exil honteux la Trappe est ennoblie, |
J’ai vu dans Saint-Denis la réforme établie; |
Le Carme, le Feuillant, s’endurcit aux travaux. |
Et la règle déjà se remet dans Clairvaux. |
Cîteaux dormait encore, et la Sainte-Chapelle |
Conservait du vieux temps l’oisiveté fidèle: |
Et voici qu’un lutrin, prêt à tout renverser, |
D’un séjour si chéri vient encor me chasser! |
O toi! de mon repos compagne aimable et sombre, |
A de si noirs forfaits prêteras-tu ton ombre? |
Ah! Nuit, si tant de fois, dans les bras de l’amour, |
Je t’admis aux plaisirs que je cachais au jour, |
Du moins ne permets pas...» La Mollesse oppressée |
Dans sa bouche à ce mot sent sa langue glacée; |
Et, lasse de parler, succombant sous l’effort, |
Soupire, étend les bras, ferme l’œil et s’endort. |